LUMA MISE SUR LE « DESIGN ÉCOLO »

Publié le jeu 11/01/2018 - 11:40

À Arles, la fondation culturelle Luma a créé un atelier de design innovant destiné à repenser les liens entre objet, environnement et territoire. Dans une ambiance de labo, artistes, artisans et ingénieurs planchent sur la mise au point de matériaux réalisés avec des composés naturels et locaux. Visite.

Par François Delotte


Henriëtte Waal, diplômée de l’école de design d’Eindhoven (Pays-Bas) co-dirige les ateliers. © F Delotte

Autrefois, on y fabriquait des trains. Aujourd’hui, on y conçoit des objets pour demain. À Arles, la grande halle des anciens ateliers SNCF a été rénovée. Au centre de ce vaste espace allongé, le visiteur croise de gros bocaux de verre contenant de mystérieux liquides. Des hommes et des femmes s’affairent, concentrés sur leur travail. Partout, les objets exposés sont autant de prototypes. Ce lieu aux allures de laboratoire abrite désormais l’Atelier Luma, qui dépend de la fondation du même nom. Une structure culturelle fondée par Maja Hoffmann, héritière des laboratoires pharmaceutiques suisses Roche, et dont la famille est depuis longtemps implantée en Camargue (lire l’encadré suivant).

Depuis 2016, l’Atelier produit du « social design ». Des créateurs originaires du territoire comme du monde entier sont invités, dans le cadre de résidences et de treize projets, à venir concevoir des objets ou des matières avec des matériaux biosourcés que l’on trouve en Camargue et dans le pays arlésien.

L’ensemble utilise le design comme outil de transition. « Beaucoup de designers travaillent avec de nouveaux matériaux. Ce qui importe aujourd’hui, ce n’est pas seulement l’esthétique, mais la vie du produit. Nous essayons de trouver des alternatives au plastique et de créer des matériaux biodégradables », indique Henriëtte Waal, artiste et codirectrice de l’atelier.

POLYSTYRÈNE EN TOURNESOL

On y découvre ainsi le polystyrène conçu à 100 % avec du tournesol par le Français Thomas Vailly. La matière blanche contenue au coeur des tiges de la plante est récupérée. Elle est assemblée grâce à une sorte de glu réalisée avec les graines de la fleur. Une coque de téléphone illustre une application possible. Le résultat est bluffant : le matériaux a l’aspect du polystyrène et semble en avoir les propriétés. Mais il est compostable !

En face, des liquides verts, roses ou jaunes reposent dans de grands récipients. On cultive ici des algues de Camargue. Associées à de l’amidon de pomme de terre, elles forment un bio-polymère pouvant remplacer le plastique. Des objets romains (verres, vases…), conservés au musée départemental de l’Arles Antique, ont été scannés et reproduits avec ce bio-plastique à l’aide d’une imprimante 3D. Un autre projet associant architectes, designers, scientifiques et un salinier revisite le sel, produit emblématique du territoire, en matériau de construction ou de confection d’accessoires usuels.

Dans ce lieu destiné à repenser notre lien à l’objet, une jeune femme s’affaire, penchée sur une table, pinceau à la main. Coralie Gourguechon, designeuse de 29 ans, trace des lignes cuivrées qui reflètent la lumière. Des lignes « électriques ». « J’utilise de l’encre conductrice composée d’argent et de cuivre. L’électricité peut circuler au travers de ces traits », explique-t-elle. Elle connecte une alimentation électrique à une feuille de papier tracée de réseaux et sur laquelle sont collées des petites ampoules LED. Miracle, la lumière est ! Le but ? « Trouver une solution pour remplacer les circuits imprimés en plastique », explique Coralie Gourguechon. « Le papier utilisé pourrait être, à terme, composé de canne de Camargue », poursuit-elle. Et ce, d’autant plus qu’un autre designer de l’atelier, Antoine Boudin, travaille sur les possibilités de réemploi de cette plante herbacée invasive des marais camarguais.


Coralie Gourguechon, designers, utilise de l’encre conductrice pour faire fonctionner des ampoules LED collées sur une feuille de papier. © F Delotte

Car un autre axe de l’atelier est de tirer parti de matières généralement considérées comme des rebuts. Ou de favoriser l’économie circulaire en utilisant des déchets issus de l’agriculture locale. On retrouve ainsi les cannes de Camargue dans un autre projet, présenté au centre de la nef industrielle. Appelé « Fabrique de fibres intelligentes », il donne à voir d’étonnantes plaques de revêtement de mur ou de sol réalisées avec des éléments organiques emblématiques du territoire. Les connaisseurs discerneront des balles – enveloppes des grains de riz –, roseaux de Provence ou autres aiguilles de pin compactées, pour former de grands panneaux rigides. Des carreaux de stratifiés incorporent, eux, des morceaux de coquilles de tellines (coquillages ramassés sur le littoral camarguais) ou de moules. L’ensemble est guidé par l’expérimentation, voire le jeu. Des plumes ou des herbes locales sont mêmes incrustées dans certaines pièces.

BÉTON ÉCOLO

Olivier Houdusse travaille sur le projet « Poussières d’Alpilles ». Il prépare du béton avec des résidus de calcaire récupérés dans une carrière. © F Delotte

Au fond de l’atelier, un homme s’affaire aux fourneaux. Tablier à la taille, il met au point une mystérieuse préparation à l’aide d’un robot habituellement dévolu à la préparation de la pâte à pizza. Olivier Houdusse se présente « comme le chef cuisinier du béton ». Cet ingénieur provençal travaille depuis près de vingt ans sur cette matière souvent décriée par les tenants de l’architecture durable. Son défi ? « Mettre au point le béton le plus écologique possible », lance-t-il dans un sourire malicieux. Car, pour lui, tout est affaire de recette. « Il s’agit d’un mélange de cailloux et de liants. On peut y ajouter de nombreuses matières. Et pourquoi pas des éléments que l’on considère comme des déchets », poursuit Olivier Houdusse. Ce dernier travaille, dans le cadre du projet, avec des poussières récupérées sur une carrière située dans le massif des Alpilles, tout proche. D’où le nom du projet : « Poussière d’Alpilles ». Il tente aussi de mettre au point le liant le moins impactant possible pour la planète : « le plâtre est par exemple sept fois moins énergivore que le ciment et il n’émet pas de CO2 lorsqu’il cuit », explique, à titre d’exemple, ce « chef » bétonnier. Petits vases, éléments décoratifs, ou encore carreaux colorés incrustés de matières organiques (feuilles, plumes...) : Olivier Houdusse réalise de nombreux objets, en abordant le béton comme un élément noble. Ses moules – éphémères – sont réalisés en matière soluble (en alcool polyvinylique ou PVA) à l’aide d’une imprimante 3D. « Le béton est considéré comme peu écolo. Alors que c’est le matériau qui voyage le moins », défend-il.

À l’image des bétons d’Olivier Houdusse, les Ateliers Luma reposent sur l’idée de croisement et de mélange. « Nous essayons de créer des projets multidisciplinaires. Ce n’est pas si intéressant que cela de travailler seul. C’est pourquoi nous faisons intervenir sur les projets des artisans, des artistes ou encore des ingénieurs originaires du territoire ou d’autres régions du monde », précise Henriëtte Waal. De passage à Arles pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, les créateurs sont là pour réaliser des travaux dont les applications seront concrètes. Certains d’entre eux sont d’ailleurs en cours d’homologation. À quand la première maison certifiée 100 % sel de Camargue ?

+ D’INFOS
www.atelier-luma.org


OÙ VA LUMA ?


Le chantier de la Tour Luma à la nuit tombée. © F Delotte

Depuis la plaine camarguaise, on ne voit qu’elle. La tour de la fondation Luma, haute de 56 mètres, surplombe Arles. Encore en chantier, l’oeuvre de l’architecte Frank Gehry doit ouvrir ses portes à l’été 2018. La construction est le « donjon » de Luma, fondation dirigée par Maja Hoffmann, héritière des laboratoires suisses Roche. Le père de cette dernière, Luc Hoffmann, avait créé en 1954 la Tour du Valat, structure destinée à valoriser la biodiversité camarguaise. C’est par la culture que la fille souhaite, elle, contribuer au développement du territoire. Outre l’atelier de design et une tour de 9 étages, le complexe de Luma comprend un parc de 10 hectares. On y trouve (ou trouvera) des espaces d’exposition, une bibliothèque, des lieux de résidence artistique ou un restaurant. Maja Hoffmann compte injecter 150 millions d’euros dans ce projet. Un investissement bienvenu pour cette commune de 52 000 habitants qui souffre d’un taux de chômage supérieur à 14 %. Mais plane aussi sur la ville la crainte de voir la fondation devenir hégémonique, au point d’influencer la politique municipale (lire l’excellente enquête publiée en juin par nos confrères de L’Arlésienne : www. facebook. com/larlesiennejournal). Nous concernant, nous avons constaté une volonté de la structure d’être dans le contrôle : demande de relecture du reportage, visite très balisée de l’atelier, refus de nous donner le budget du projet…

 


INTERVIEW


© Wikimédia Commons
 

STÉPHANE VIAL : « Concevoir les services publics avec leurs usagers »

Propos recueillis par FD

Stéphane Vial est enseignant-chercheur en design à l’Université de Nîmes et directeur du laboratoire de design et innovation sociale PROJEKT. Il revient avec nous sur cette discipline qui s’attache à co-produire des projets et services d’intérêt général avec leurs usagers.

Qu’est-ce que le design social ?

Le design traditionnel a pour but principal de produire des objets de consommation courante, de la voiture à la tasse de café. Le design social a lui un objectif supérieur : se mettre au service du bien commun. Nous utilisons les méthodes du design : graphisme, production d’espaces numériques... mais pour répondre à des besoins d’intérêt général. Le design classique se met au service de l’industrie, dont le but est de vendre. Il met en adéquation la forme, la fonction et le marché. Le design social met en adéquation la forme, la fonction et la société.

Le design social intervient dans le champ des services publics ?

Oui, même si cela n’est pas exclusif. Par exemple, les designers sociaux peuvent intervenir dans les établissements de santé. Nous avons une collègue, Marine Royer, qui a obtenu un financement du Conseil départemental du Gard pour travailler sur le sujet de l’autonomie des personnes âgées. Il s’agit de soutenir cette autonomie grâce à l’économie circulaire d’objets. Marine Royer réfléchit à la conception d’objets utiles pour les personnes âgées. Objets devant repartir dans le circuit lorsque celui- ci n’est plus utilisé par un individu.

Les pouvoirs publics font de plus en plus appel à des designers sociaux. Pourquoi ?

Oui. Car les designers de services publics amènent l’innovation au coeur des administrations. Ils repensent l’offre aux administrés en étant à l’écoute de leurs besoins et de la réalité des usages. C’est ce que nous appelons l’innovation publique. Il s’agit de concevoir des services publics avec leurs usagers. Nous parlons alors de « co-design ». Nous accompagnons les gens dans la réalisation de prototypages rapides et efficaces.

Le but est-il de mieux faire accepter les politiques publiques aux citoyens ?

Nous ne sommes pas là pour faire passer la pilule. Le design social n’est pas là pour aider le politique à instrumentaliser le citoyen mais pour aider le citoyen à transformer le politique. Nous sommes là pour créer les conditions d’une rencontre entre des experts et des usagers. C’est un enjeu qui rejoint la soutenabilité de notre société, c’est notre manière de contribuer à ce que celle-ci soit plus solidaire.

Plus d'infos : projekt.unimes.fr

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !