[ REPORTAGE ] Quand les générations se mélangent

Publié le ven 24/05/2019 - 16:31

Par Céline Cammarata.

À Montpellier (Hérault) se déroule une expérience novatrice : des étudiant·e·s se voient proposer une colocation à des prix défiants toute concurrence par la commune en échange de temps accordé chaque semaine aux personnes âgées. Pour cela, ils ont proposé d’animer des ateliers à thème, trois heures par semaine, dans un Ehpad. Sans transition ! a suivi leurs premiers pas.

Par une journée ensoleillée, nous découvrons l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) Michel-Belorgeot de Montpellier. Lumineux et spacieux, le bâtiment s’ouvre sur un jardin. À l’entrée, certain·e·s résident·e·s se regroupent. C’est là que Nour, l’une des étudiantes, leur lit la presse le week-end. La musique guide les visiteurs du jour. Roselyne, une autre étudiante, joue dans une grande salle sur son propre piano, qu’elle a accepté d’installer dans la maison de retraite pour assurer ses ateliers de musicothérapie. Son assistance l’écoute religieusement.

Solidarité intergénérationnelle

Mais que font ces étudiants dans un Ehpad ? Ils ont répondu à l’appel d’élu·e·s de Montpellier, inspiré·e·s d’une expérience menée en Europe du Nord, où des étudiant·e·s louent des chambres bon marché au sein d’une maison de retraite. Avec une différence de taille : les 11 étudiant·e· s retenu·e·s n’occupent pas de chambre à l’intérieur de la résidence, mais dans d’anciens logements de fonction indépendants. La colocation, entre étudiants, leur permet de bénéficier d’un loyer modéré dans trois des sept Ehpad que compte la ville. Ainsi, ont été mis à disposition des étudiants des appartements et même une maison avec jardin et garage. Les chambres y sont louées pour un loyer allant de 190 à 204 euros, selon le nombre de m2, hors APL ! Et, comble de la solidarité, ces loyers financent les activités proposées par les jeunes.

Dans la maison de retraite Michel-Bélorgeot, les étudiant·e·s n’ont qu’à traverser le jardin pour se rendre à leur appartement. Anaïs, Roselyne et Flavie ouvrent les portes de cette solide bâtisse. Tous ces anciens logements de fonction ont été refaits à neuf grâce à deux chantiers de rénovation, menés avec des jeunes de 18 à 25 ans, en situation de réinsertion sociale. L’opération a été conçue comme une chaîne de solidarité entre les seniors des Ehpad et les jeunes de Montpellier.

Musique, danse, jeux de société

En contrepartie de cette chambre, les volontaires offrent trois heures d’activités par semaine aux résidents des Ehpad. Un temps de partage bienvenu quand, selon Philippe Saurel, maire de Montpellier, « seulement 30 % des pensionnaires reçoivent des visites ». Alors, les forces vives sont les bienvenues pour animer les week-ends ou accompagner sorties et autres activités que le personnel ne peut assurer seul. Le projet a suscité une trentaine de candidatures d’étudiants, majoritairement féminines. Pour les départager, les critères sociaux et les projets d’animation ont été étudiés.

Ainsi, Flavie, 19 ans, étudiante en première année de réalisation numérique, se retrouve, un dimanche, en pleine partie de Scrabble. « Je fais des études artistiques, mais je connais le fonctionnement d’une maison de retraite, pour y avoir travaillé en intérim comme agent, alors je savais que cela me correspondrait. L’aspect financier a compté dans cette décision, car mon école est onéreuse. J’espère surtout que ce projet m’aidera à progresser dans la connaissance de l’autre. C’est précieux pour mes études. »

« Tout le monde gagne dans ce type d’échanges »

Anaïs, étudiante en sciences sanitaires et sociales.

Entre Eliane qui ne quitte jamais ses lunettes de star, Gilberte, la libraire, et les autres, les langues se délient autour du plateau de jeu. Certain·e·s résident·e·s se lassent très vite ou s’agacent dès que la difficulté se présente — en l’occurrence, la raréfaction des voyelles. Les étudiant·e·s expliquent : « C’est un problème récurrent chez les résident·e·s : la crainte de ne pas y arriver. Sur des aspects moteurs ou pour des problèmes de mémoire, beaucoup de personnes âgées ont peur de ne pas parvenir à leurs souhaits. C’est donc à nous de trouver une façon de les approcher, de trouver des alternatives et de nous adapter. Car même les personnes en difficulté retirent quelque chose de nos activités. »

Dehors, le jardin est inondé de soleil. Flavie propose à sa troupe de sortir. Installées en cercle, ces dames papotent avec plaisir. Éliane adore raconter les débuts des ordinateurs et le nombre de personnes qu’elle a dirigées au Canada. Les étudiant·e·s ont la côte : « Elles sont gentilles et serviables. Je suis allée au zoo avec elles. Je me régale, surtout lorsque Roselyne joue du piano. Elle chante le Prélude de Bach. Je ne rate jamais la musicothérapie. Et avec Jimmy, je jardine. » Plus discrète, Gilberte distribue son sourire coquin et vous scrute de ses magnifiques yeux bleus. Cette libraire était une professionnelle des sauvetages de librairies en perte de vitesse, mandatée par des maisons d’édition. Vêtue d’une veste poncho et de bottines en daim, elle arbore un air espiègle : « Je suis contente de participer aux activités, mais je regarde d’abord ce que cela peut m’apporter avant de me lancer. »

Flavie, l’étudiante en art, en profite pour croquer sur son carnet les personnes qui l’entourent. Éliane déclare en regardant son portrait, pourtant réussi : « Mais c’est très laid, cela ne me ressemble pas du tout ! » Rire général !

Les étudiant·e·s circulent à leur convenance au sein de l’établissement. Lorsque les activités le nécessitent ou que le groupe est un peu important, les employées de l’Ehpad viennent assister à l’atelier. Ce mardi, Anaïs, 22 ans, a prévu de présenter son projet de blog. Elle doit également faire une démonstration de tango avec son professeur.

Cette étudiante en licence sciences sanitaires et sociales est tombée dans l’associatif et les projets solidaires dès l’enfance en accompagnant sa maman, bénévole du Secours populaire. « J’ai appris très tôt que tout le monde gagne dans ce type d’échanges, explique-t-elle. Je suis très impliquée dans diverses associations. Cette nouvelle expérience va compter sur mon CV. »

Une expérience pleine de promesses

Roselyne, 18 ans, étudiante en musicothérapie, assiste à la séance : « Je n’anime pas d’atelier aujourd’hui, mais je viens passer un moment. On regarde les ateliers des autres, on discute avec les résidents... » En début de séance, ces dames s’impatientent du problème de connexion du rétroprojecteur, mais Anaïs reste imperturbable et décide de leur montrer le blog individuellement sur son téléphone. Les photos de leurs dernières sorties au zoo leur permettent de voir ses applications concrètes. Anaïs les interroge : « De quoi aimeriez-vous parler ? Une passion, une anecdote, des recettes ou des souvenirs ? » Elle rassure les résident·e·s volontaires pour cet atelier : « J’ai mis quelques photos pour vous montrer ce qu’on peut faire, mais vous mettrez exactement ce dont vous avez envie. On peut même faire ce blog sur papier si vous préférez. »

Les réticences s’envolent lorsque vient l’heure du tango argentin. Les résidentes taquinent une étudiante : « Eh bien, avec tes talons, tu ne crains pas de dépasser ton danseur ? » Le couple enchaîne les danses et ravit résident·e·s, membres du personnel et visiteuses. Elles applaudissent et en réclament encore. Pour sûr, cet atelier est une réussite !

Rires ou craintes, les jeunes explorent encore l’étendue du possible de leurs ateliers avec les personnes âgées. Ainsi, le piano de Roselyne devrait bientôt être monté sur roulettes pour qu’elle puisse jouer dans les chambres des personnes alitées. Et l’an prochain, d’autres logements réhabilités devraient permettre de recevoir plus d’étudiant·e·s. Et donc plus de projets et de convivialité avec les résidents.

Plus d’infos :

www.montpellier.fr

Photo : C Cammarata

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !