[REPORTAGE] Dans le Gers, les Colibris allient restauration de qualité et insertion

Publié le ven 26/11/2021 - 11:00
© Comptoir des Colibris

Par Catherine Stern

Le Comptoir des Colibris est un restaurant installé dans la magnifique bastide gersoise de Cologne. Mais la Scic fait bien plus que servir à la clientèle des plats beaux et bons, bio et de saison, en animant le village avec sa programmation culturelle. Elle est aussi entreprise d’insertion, lieu d’expérimentation et d’ingénierie sociale et, depuis peu, centre de formation.

« J’ai trouvé avec ce projet la combinaison de tout ce qui m’anime : l’humain, l’ouverture du rural à la culture et la possibilité de changer l’alimentation pour les gens, en particulier un public fragilisé. C’est comme s’il y avait ici une concentration de monde idéal ! », affirme Gaëlle Leillard, chargée d’insertion socio-professionnelle au Comptoir des Colibris à Cologne (Gers) depuis quatre ans. Chloé D., serveuse arrivée en contrat d’insertion depuis quelques semaines seulement, partage cet enthousiasme. « Je me disais qu’un employeur correct ça n’existe pas, mais j’ai repris espoir en tombant sur les Colibris, lance cette bretonne de 46 ans, que ses dernières expériences en restauration avaient « dégoûtée » du milieu. C’est très fort ce qui a été créé ici. Je n’ai jamais eu un employeur autant à l’écoute de son personnel, avec un souci réel de l’individu. Ici, on grandit ensemble ! »

Pourtant, en arrivant sur la magnifique place de cette bastide gasconne, avec sa halle du XIVème siècle, et en découvrant la terrasse installée sous une des galeries couvertes, vous avez juste l’impression de découvrir un restaurant typique du Gers, cette terre de gastronomie du Sud-Ouest. Le panneau détaillant « nos fournisseurs, nos producteurs, nos artisans » avec beaucoup de bio et de local donne un premier indice sur la qualité de ce qu’on trouve dans l’assiette. Le panonceau « cabinet de poésie générale », qui voisine les traditionnels « recommandé par » le Routard et le Petit futé, intrigue cependant et laisse penser qu’un grain de folie s’est aussi invité ici. Mais pour en savoir plus, il faut aller à la rencontre des hôtes de ce lieu.

Plus qu’un restau de village

« Quand on parle du Comptoir des Colibris, les gens pensent restau de village, mais en fait on a une activité plus large : nous sommes entreprise d’insertion (1) et depuis peu aussi centre de formation », signale Stéphanie Grenier, la gérante, à l’origine du projet. Tout a commencé par un diagnostic de territoire mené par la Mutualité sociale agricole lorsqu’elle y travaillait. Le constat : un déficit de ressources du côté de la petite enfance, des personnes âgées et pour l’insertion socio-professionnelle des jeunes et des femmes seules recevant les minimas sociaux. « La priorité s’est d’abord portée sur les personnes âgées et la petite enfance, puis le centre social Arcolan a porté un projet autour de l’insertion, alors qu’au même moment, le restaurant du village était en vente », raconte l’ancienne assistante sociale devenue agente de développement local.

Pour éviter la fermeture de ce lieu de convivialité, l’idée a germé en 2013 de saisir l’opportunité pour monter un projet permettant à la fois de développer une activité économique et de répondre aux besoins d’insertion identifiés. « J’ai organisé des groupes d’habitant·es, des comités de pilotage associant politiques, population et financeurs pour décider ensemble ce qu’on voulait en faire », poursuit la jeune femme, saluée avec chaleur par de nombreuses personnes tout au long de l’interview en terrasse. « Le cœur du village manquait d’un lieu de vie et de partage entre jeunes et vieux et l’idée de Stéphanie m’a intéressée, témoigne Martine Courant, qui gère des chambres d’hôtes à Cologne. Sur la restauration s’est greffée l’idée d’ateliers, de café des langues, d’expositions et de concerts... » Après avoir participé pendant un an au montage du projet, Martine est devenue une des premières sociétaires de la Scic qui a vu le jour en mai 2014 et en compte aujourd’hui une cinquantaine.

Insertion

En quelques années, soutenu par de nombreux partenaires institutionnels (2), le Colibri a pris son envol et permis à de nombreuses personnes en insertion de faire de même. Mélanie Grimaut, 23 ans, a commencé ici à la plonge, est passée au service et en cuisine avant de devenir chargée de communication sur les événements culturels et coordinatrice de formation. « J’ai passé ici trois ans de ma vie et il s’est passé tellement de choses pour me faire évoluer personnellement et professionnellement ! Les cinq jours de coaching dont j’ai bénéficié en 2019-2020 m’ont donné beaucoup confiance en moi et permis d’affiner mon projet », explique la jeune femme, qui vient d’intégrer une formation en apprentissage dans le sport.

En ce moment, le Comptoir emploie une quinzaine de personnes pour dix équivalents-temps plein (ETP) de façon à ouvrir tous les midis et les soirs de fin de semaine. « En 2020, neuf personnes en insertion sont passées ici et, cette année, on a créé trois postes supplémentaires autour de développement d’activités. On devrait passer d’ici un an et demi à 15 ETP », prévoit avec optimisme Stéphanie Grenier, qui s’est formée à tous les postes pour être proche des équipes.

Emancipation

Ici, le maître-mot est l’émancipation. « On ne veut pas que les personnes sortent avec un projet seulement alimentaire », souligne-t-elle. L’enjeu est qu’elles puissent choisir leur destin avec toutes les cartes en main. Avant de déguster une exquise salade de légumes et de fleurs en terrasse, Stéphanie et Gaëlle évoquent Fabiola, dont elles attendent avec impatience un texto pour avoir des nouvelles du passage de son titre professionnel de cuisinière. « Elle faisait des extras dans les cantines, seule avec trois enfants, lorsqu’elle est arrivée ici et elle a fait un super parcours de deux ans avec nous, raconte la chargée d’insertion socio-professionnelle. On a travaillé avec elle pour qu’elle puisse entrer dans l’école de restauration de Thierry Marx à Toulouse. Fin septembre, elle nous quitte pour créer son propre lieu. »

Gaëlle Leillard, sociétaire de la Scic depuis l’origine, accompagne et soutient les personnes en insertion. Ce matin-là, Azar est passé régler quelques questions administratives. « Nous venons de recruter en CDDI (3) ce monsieur qui vient de Syrie, explique-t-elle. On a mis en place des photos de matériel de cuisine pour que ses cours de français langue étrangère soient orientés sur son activité professionnelle. Au long de son parcours, il va monter en compétences et cela aura un impact positif sur sa femme et ses deux enfants. »

Formation et ingénierie sociale

La formation est capitale sur le chemin vers l’émancipation proposé ici, comme a pu l’apprécier Chloé, qui a bénéficié d’une semaine de préparation au service à son arrivée. Emma Lemberton, cheffe de cuisine aux Colibris depuis deux ans, originaire de Madagascar, s’est formée aux terroirs gersois avant d’en faire profiter les membres de l’équipe qui pourront ensuite en parler à la clientèle.

Pour éviter d’envoyer les personnes à Toulouse suivre des parcours certifiants, ce qui n’est pas toujours aisé pour des raisons familiales et de mobilité, le Comptoir s’est aussi engagé en novembre 2020 à devenir centre de formation. Outre les matières professionnelles, les modules des parcours incluent du coaching pour la confiance en soi, de la communication non violente et même une initiation à la permaculture assurée pour un des fournisseurs de légumes (lire page suivante).

Et pour partager l’expérience engrangée depuis huit ans, la scic accompagne localement d’autres structures avec des projets de création de lieux similaires, mais aussi à l’échelle européenne avec cinq partenaires belges, espagnols et turcs dans le cadre d’Erasmus + et d’EDAP (l’Europe donne des ailes à vos projets). « L’idée est que les structures puissent proposer aux gens des parcours qui les aident à s’émanciper », explique Stéphanie Grenier qui prend le temps de recevoir une productrice locale de safran quelques heures avant de s’envoler pour Bruxelles. Les colibris gersois ne sont pas prêts de se reposer !

PLUS D’INFOS

 

Note :

(1) Une entreprise d’insertion reçoit un financement sous forme d’aides au poste par l’Etat qui permettent de financer le conseil en insertion, des actions collectives et la formation des personnels. 70% du budget vient de sa production.

(2) Département du Gers, Urscop, Direccte, Pôle Emploi, Cap Emploi, Missions locales…

(3) Contrat à durée déterminée d'insertion, ouvert aux personnes au chômage et rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, qui peut durer de 4 à 24 mois.

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !