[THEMA] Au secours des terres fertiles

Publié le ven 13/01/2023 - 11:00

Par Estelle Pereira

Pour atteindre la résilience alimentaire, la protection des terres agricoles fertiles est indispensable. Dans cette tâche, la puissance publique doit jouer son rôle.

Le long de la Durance, à Pertuis (Vaucluse), 86 hectares de terres agricoles fertiles vont être bétonnées pour l’extension d’une zone commerciale. Le maire Roger Pellenc, fondateur de l’entreprise éponyme, soutient fermement le projet qui profitera à son entreprise sur 30 hectares. Des opposants, réunis au sein du collectif Terre vives Pertuis, dénoncent un conflit d’intérêt mais aussi une décision à l’encontre de l’intérêt général. « Alors que les scientifiques nous alertent sur le risque d’emballement climatique, le Giec appelle à travailler activement à la reconquête des sols en luttant contre leur artificialisation », fait valoir le collectif.

L’exemple de Pertuis illustre la responsabilité des collectivités et des élus locaux dans la préservation de la surface agricole française. Un gâteau qui diminue chaque année : l’équivalent de deux fois le département de la Seine-Saint-Denis, soit près de 300 km², disparaît sous le béton quand la moitié des terres agricoles vendues partent à l’agrandissement des fermes existantes.

Cinq millions d’hectares vont changer de main

« D’ici à 2030, cinq millions d’hectares devraient changer de main, soit près d’un cinquième des terres agricoles de France métropolitaine », alerte Vincent Jannot, responsable des partenariats pour Terre de Liens, une fondation qui, grâce à l’épargne citoyenne, est parvenue à soustraire plus de 7 000 hectares à l’agrandissement et à la spéculation en veillant à l’installation d’agriculteurs et d’agricultrices. Il plaide pour une « intervention forte et volontariste des pouvoirs publics » afin d’éviter « une fuite en avant de la taille des fermes, de pérenniser des modèles agricoles insoutenables pour l’environnement et peu souhaitables du point de vue économique et social, participant à la désertification des territoires ruraux. »

La loi d’avenir de l’agriculture et de la forêt de 2014 reconnaît le territoire comme l’échelle adéquate à l’élaboration d’une stratégie alimentaire avec la naissance des Projets alimentaires territoriaux (PAT). Ces derniers sont portés par les collectivités locales (communes, agglomération, département) pour organiser la re-territorialisation des systèmes alimentaires. Faire grossir l’offre locale de produits de qualité est l’objectif principal des PAT qui permettent l’engagement contractuel auprès de paysans et paysannes pour répondre aux besoins, par exemple, de la restauration collective ou de la distribution et transformation de légumes bio sur un territoire.

Maraîchers fonctionnaires

A Vannes, ne trouvant pas de maraîchers pour produire une nourriture destinée aux enfants de ses crèches, la commune décide de créer en 2019 une régie agricole municipale. Elle récupère un hectare de terre en friche et emploie un maraîcher fonctionnaire. Plusieurs communes ont suivi le mouvement en créant des postes de maraîcher municipal : Bordeaux (Gironde), Chaponost (Rhône), Cavaillon (Vaucluse) ou encore Romainville (Seine-St-Denis). Les municipalités s’inspirent de Mouans-Sartoux, commune de 10 000 habitants qui fut pionnière en la matière : sa régie a été créée de façon expérimentale en 2010 (lire p. 97).

D’autres communes lancent des appels à projets pour installer des producteurs sur leur territoire. Comme Trèves, dans le Gard, qui recherche un éleveur (ou une éleveuse) de chèvres. Même si la personne candidate devra investir dans l’achat de 3,2 hectares et la construction d’une chèvrerie-fromage, la commune a d’ores et déjà prévu de lui mettre à disposition 120 hectares de terrain qui, de fait, échapperont à l'artificialisation.

Des outils juridiques existent depuis de nombreuses années pour protéger les terres agricoles. Parmi elles, les zones agricoles protégées (ZAP). Créées par la loi d’orientation agricole de 1999, elles permettent de protéger les zones à vocation agricole sur le temps long. Tout changement d’affectation est soumis à l’avis de la chambre d’agriculture et à la commission d’orientation de l’agriculture. En sept ans d’existence, celle de Roquebrussane, dans le Var, a permis la protection de 1 081 hectares tout en favorisant la dynamique d’installation avec onze créations d’activités agricoles depuis 2011.

Garder la vocation agricole des terres

Au niveau départemental, les périmètres de protection des espaces agricoles et naturels périurbains (PEAN) ont déjà fait leur preuve (1). Les communes de Canohès et Pollestres, proches de Perpignan, ont ainsi protégé 281 hectares via ce dispositif qui ne peut être remis en cause que par un décret d'État. Tous ces dispositifs juridiques qui planifient l’aménagement du territoire, comme les plans locaux d’urbanisme (PLU) et les schémas de cohérence territoriale (SCoT), dépendent de la volonté politique des élus et d’une concertation entre communes voisines.

Le SCoT de la communauté d’agglomération du Grand Angoulême a ainsi permis la création d’un espace-test agricole, un programme qui permet aux agriculteurs de faire un test avant de se lancer à leur compte. Il est la garantie d’un salaire, de cotisations sociales et d’un foncier disponible. La collectivité s’engage parfois à racheter une partie de la production. Quand la préservation des terres agricoles rime avec le maintien d'une activité paysanne et crée du dynamisme sur les territoires…

 

Sources :

  1. “Agir sur le foncier agricole : un rôle essentiel pour les collectivités locales”, 4e édition, 2022, Terre de Liens https://ressources.terredeliens.org/les-ressources/agir-sur-le-foncier-agricole-un-role-essentiel-pour-les-collectivites-territoriales

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