[RESILIENCE] :Une décennie plus tard, quel bilan pour les marais des salins de Camargue ?

Publié le jeu 10/12/2020 - 07:00

Vol de flamants roses au-dessus des anciens salins @jean_Jalbert-TourduValat

 

Par Maëva Gardet-Pizzo

Depuis des années, les anciens salins de Camargue sont le lieu d’une expérimentation scientifique qui vise à laisser faire la nature plutôt que de l’aménager, pour mieux résister au changement climatique. Une décennie plus tard, les résultats sont encourageants mais ne suffisent pas à rassurer bien des Camarguais qui se sentent impuissants face aux changements du temps.

C’est un bout de terre qui a des allures de bout du monde. Une plage immense derrière laquelle se dessine une vaste étendue de dunes, d’étangs et de marais. Ici le temps semble en suspens. Comme si la nature avait toujours été là, imperturbable. Et pourtant...

Jusqu’en 2008, ces terres appartenaient à la compagnie des Salins du midi. Mise à mal par la perte d’un client majeur et par l’entretien de plus en plus coûteux de ses digues, la compagnie accepte, sur fond de crise sociale, de céder 6,5 hectares au Conservatoire du littoral, un établissement public de l’État. La gestion du site est assurée par trois acteurs locaux que sont le Parc régional de Camargue, la Tour du Valat, et la Société nationale de protection de la nature.

L’ambition est alors de reconnecter la mer et les étangs centraux dont celui du Vaccarès afin de favoriser la biodiversité et de faire de la zone un amortisseur naturel contre les tempêtes. Plusieurs aménagements sont réalisés pour effacer les pompes et autres traces des salins, laissant l’eau tracer son sillon (NDLR, On vous en a parlé longuement dans un article il y a 5 ans – lire Sans transition ! Provence n°10 ).

Une biodiversité plus riche mais un aléa plus fort

Une décennie plus tard, le paysage a bien changé. La sansouïre, cette végétation typique composée de salicornes, a reconquis 300 hectares du site. « Ce type de végétation est un site de repos pour des passereaux et des insectes », pointe Benjamin Bricault, chargé de mission pour la Société nationale de protection de la nature. C’est donc toute une biodiversité qui revient.

Par ailleurs, la reconnexion entre la mer et les étangs centraux favorise la circulation et le développement de poissons. « On observe une plus grande population de soles, daurades, anguilles, loups ». Des poissons à forte valeur ajoutée qui attirent de nouveaux pêcheurs. « Mais dans ce genre d’expérimentation, ce n’est jamais tout noir ou tout blanc », tient à souligner Laure Bou, directrice adjointe du Parc régional. Les flamants roses, par exemple, étaient très adeptes de la stabilité propre aux salins. La nouvelle gestion a donc eu un impact plutôt négatif sur eux. « Nous n’en sommes qu’à onze ans de gestion. Il faudra voir comment tout ceci évolue sur le long terme. On travaille avec le côté spontané de la nature ».

Une spontanéité pas toujours en phase avec les activités humaines, bien que celles-ci soient au cœur du projet des Étangs et marais des salins de Camargue. « Nous avons maintenu les usages et conventions d’usages déjà présents sur le site », assure Laure Bou. Pourtant, beaucoup d’acteurs se plaignent de ne plus pouvoir exercer leur activité comme auparavant. C’est le cas de Jean-Claude Benoît, membre de la prud’homie de pêche de Martigues : « Dans l’étang du Vaccarès, le niveau de l’eau a baissé et la salinité augmente. On ne peut plus pêcher ». Un phénomène qu’il juge lié à la reconnexion de l’étang avec la mer mais qui, selon Benjamin Bricault, serait davantage le fait de la baisse de la pluviométrie.

Les réglementations concernant les véhicules motorisés ont aussi du mal à passer. Elles sont pourtant, de l’avis des co-gestionnaires, indispensables pour la biodiversité et pour le développement d’une nouvelle activité sur le site : l’éco-tourisme. « Nous avons essayé de créer des activités de découverte mais le terrain est peu praticable. Il est difficile pour les acteurs économiques de s’y projeter », constate Laure Bou qui souhaite avancer sur ce chantier.

Amortisseur climatique

Car l’ambition est bien de prouver que la préservation de la nature est compatible avec l’activité humaine. Mieux, qu’elle en est la condition. Élément clé : les étangs et marais ont aussi pour vocation de servir d’amortisseur naturel face à d’éventuelles tempêtes. Et déjà, certains signes sont encourageants.

« Le site joue vraiment le rôle de zone-tampon. En cas de gros coups de mer, l’eau se dilue dans l’ensemble des étangs reconnectés », se réjouit Benjamin Bricault de la SNPN. En outre, en amont d’une digue frontale qui servait à protéger les salins et qui n’est plus entretenue, on observe la formation d’un banc sableux. « L’enjeu est d’en faire une vraie défense contre les tempêtes », complète Jean Jalbert, directeur général de la Tour du Valat. « Il faut imaginer plusieurs mécanismes pour que le sable érige des barrières naturelles et joue le rôle d’amortisseur climatique ».

Il s’agit en fait de coopérer avec la nature plutôt que de l’affronter. « Soit on construit plus de digues, plus hautes, plus résistantes, au risque d’assister à d’immenses catastrophes en cas de rupture. Soit on admet que la nature est plus forte que l’homme et plutôt que de la combattre, on tente de travailler avec elle ». Mais cette philosophie n’est pas du goût de tous.

L’acceptation sociale, un enjeu majeur

Michel Simiacos est secrétaire général de l’Association de protection des salins de Camargue. Conscient de l’irrémédiabilité du changement climatique, il s’inquiète. « La digue de protection des biens et des personnes, qui est sous la responsabilité du Symadrem, est à certains endroits trop fragile, quant à d’autres, elle n’existe même plus ! On a dépensé plusieurs dizaines de millions d’euros – dont de l’argent public- pour les anciens salins mais rien n’est investi pour la digue de protection des personnes ». La faute à un flou concernant les compétences de chacun et à la présence d’urgences à régler à d’autres points du Rhône. « Aujourd’hui, il n’y a pas de risque de submersion marine au niveau de cette digue même si elle n’est pas toujours entretenue sur toutes ses sections », assure François Fouchier, délégué régional du Conservatoire du littoral. « Mais si rien n’est fait, effectivement, on peut s’en inquiéter pour les années à venir étant donné la montée du niveau de la mer ». Il se veut néanmoins rassurant, expliquant que des projets d’investissements lourds sont prévus. Il regrette que « la population n’ait pas reçu d’assurances claires de la part des organismes responsables des ouvrages ».

De quoi nourrir un sentiment d’abandon auquel s’ajoute l’impression de ne pas avoir été consulté. « On n’est pas suffisamment allé vers les locaux », reconnaît Benjamin Bricault.

D’autant que le changement de paradigme est radical. « On a protégé la Camargue depuis deux siècles. Depuis qu’elle a été endiguée en 1856, de grands équilibres se sont mis en place. Et là, on détruit tout pour laisser s’ensauvager », s’étonne Bertand Mazel, président du syndicat des riziculteurs.

Un nouveau plan de gestion s’apprête à voir le jour. Les porteurs du projet ont à cœur de donner plus de place aux différents acteurs qui font vivre la Camargue et d’intégrer aux discussions les responsables des digues et les pouvoirs publics. « Nous avons besoin qu’ils interviennent sur le partage des connaissances car nous sommes affublés de l’étiquette d’écologistes et cela est source de clivages », regrette Jean Jalbert. « Pourtant, la montée des eaux est inéluctable et si on ne se prépare pas, ce sera très douloureux. Il est temps de tourner la page de la maîtrise de l’homme sur la nature et d’en écrire une nouvelle. Une histoire d’adaptation et de résilience ».

Plus d’infos :

Le site du Conservatoire du littoral : http://www.conservatoire-du-littoral.fr/

La Tour du Valat : https://tourduvalat.org/

Le Parc régional de Camargue : http://www.parc-camargue.fr/

La Société nationale de protection de la nature : https://www.snpn.com/

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