[DOSSIER] : Hydrogène, la molécule miracle ?

Publié le mar 12/01/2021 - 07:06
Le Coradia iLint, fabriqué par Alstom, est un train de passagers alimenté par une pile à hydrogène, qui produit de l'énergie électrique pour la traction (Crédit Pixabay)
 
 
Par Guillaume Bernard
 
7 milliards, c'est le montant du plan mis en place par le gouvernement pour créer une filière hydrogène en France. Mais la molécule mérite-t-elle qu'on place tant d'espoir en elle ? Et surtout tant d’argent public ?
 
Rappelez-vous, nous étions confinés et ce n'était pas encore une habitude. La tête à la fenêtre, applaudissant les soignants, nous nous demandions à quoi ressemblerait le monde d'après. Sur nos écrans, le Président de la République esquissait des perspectives : « Il nous faut créer les emplois de demain par la reconstruction écologique qui réconcilie production et climat. » La France confinée avait besoin d'un rêve. Le gouvernement lui trouva l'hydrogène.
 
La solution miracle était pourtant à portée de télescope. Les étoiles, les nébuleuses et les planètes gazeuses ? De l'hydrogène. 92% des atomes qui forment l'univers ? De l'hydrogène aussi. Appelée « hydrogène » par convention, c'est en réalité la molécule H2 (dihydrogène) et le gaz qu'elle constitue, qui inspirent le plan gouvernemental. Sur terre, on en trouve abondamment dans les molécules d'eau. Ses propriétés ont beau être connues depuis le 18ème siècle, (voir encadré) les États européens n'avaient jamais considéré le gaz comme une potentielle solution à la crise des énergies fossiles. Jusqu'à ce que la Covid-19 pointe son nez.
 

Le plan du gouvernement

« Il est désormais acquis que l’hydrogène constitue un levier incontournable de la transition énergétique : il permet de décarboner des secteurs entiers de l’économie, en particulier ceux pour lesquels l’électrification est impossible », soutient dans son manifeste du 21 juin 2020, l'association française pour l'hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC), devenue depuis peu « France hydrogène». 
 
Avant même l'annonce du plan, le puissant lobby de l'hydrogène, qui compte dans sa gouvernance des entreprises telles qu'Air Liquide, Engie ou encore Michelin, rappelle : « les premiers à investir significativement seront les grands gagnants d’une compétition mondiale récemment engagée ». Et pour cause : l'Allemagne vient de déployer un plan de 9 milliards d'euros, le Portugal 7 milliards. 
 
Volonté de faire advenir un monde d'après décarboné ou nécessité de se lancer dans la course avec les voisins européens ? Difficile à dire. Toujours est-il que fin octobre, le budget alloué à la molécule explose. Barbara Pompili, ministre de l'écologie, dévoile sa « stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné en France » : le gouvernement mettra sur la table 7,2 milliards d'euros d'ici à 2030 - si le budget n'est pas revu d'ici-là - dont 2 milliards entre 2020 et 2022 pour « construire une filière française de l'hydrogène décarboné, de portée internationale ». À la clef : 6 millions de tonnes d'émissions de CO2 économisées en 2030. Jusqu'alors le budget hydrogène fixé par Nicolas Hulot en 2019 n'était que de 100 millions d'euros par an.
 
« Sept milliards, c'est beaucoup, beaucoup, beaucoup d'argent », insiste Bruno Le Maire, rappelant qu'il attend des industriels qu'ils créent « des usines », « des emplois », « de la relocalisation industrielle ». La colossale somme d'argent public doit servir de levier afin que les entreprises investissent à leur tour significativement. Optimiste, France Hydrogène prévoit d'ores et déjà que le nombre d'emplois dans le secteur de l'hydrogène, actuellement à 2000, passera à plus de 100 000 d'ici 2030. 

 

Molécule écologique ?

L'engouement suscité par l'hydrogène n'est pas forcément usurpé. À bien des égards, l'hydrogène est un vecteur d'énergie qui peut être considéré comme un « miracle ». À masses égales, la combustion de ce gaz, qui se fait au contact de l'oxygène, produit trois fois plus d'énergie (sous forme d'électricité) que la combustion du sans plomb...et ne rejette que de l'eau.
 
L'hydrogène apparaît alors comme un moyen très efficace de stocker de l'électricité puisqu'il suffit d'une pile à combustible contenant le fameux gaz pour en produire. Il pourrait servir à conserver les sources d’électricité intermittentes comme l’éolien ou le photovoltaïque, surabondantes lors des jours de grand vent ou de soleil, mais qui viennent à manquer lorsqu'il n'y a ni l'un ni l'autre. Enfin, la pile à combustible possède plus de puissance et se recharge plus rapidement que les batteries classiques.
 
Or pour que l'hydrogène puisse être la molécule miracle qu'elle promet d'être, encore faut-il que les conditions de réalisation du miracle soient réunies. Et si la combustion de l'hydrogène ne produit pas de C02, il en va tout autrement de sa production.
 
Pour l'heure, 95 % de l'hydrogène produit en France est dit « hydrogène carboné » ou « hydrogène gris » ce qui signifie que sa production rejette du CO2. C'est l'industrie qui en consomme le plus, principalement pour le raffinage du pétrole (60 %), la production d’ammoniac (25 %) et d’engrais chimique (10 %), pour un bilan carbone équivalent à 3 % des émissions françaises de CO2.
 

Un hydrogène pas tout à fait vert

Or le plan hydrogène de Barbara Pompili parle bien de production d'hydrogène décarboné, parfois appelé « hydrogène vert ». La production de cet hydrogène est obtenue par un processus différent, qui ne requiert que de l'eau et de l'électricité : l'électrolyse. 
 
Mais une question primordiale demeure : d'où proviendra l'électricité qui alimentera les futurs électrolyseurs ? Sachant que plus de 70 % de la production d'électricité française est de nature nucléaire, le doute n'est pas permis bien longtemps. Bruno Le Maire ne s'en est d'ailleurs jamais caché rappelant sur BFM TV fin juin que produire de l'hydrogène à partir d'électricité nucléaire « gardait toute sa pertinence ».
 
Cette solution soulève toutefois de nombreux problèmes. Si les centrales nucléaires rejettent bien moins de CO2 que les centrales thermiques, ce qui fait de l'énergie nucléaire une énergie « bas carbone » au même titre que les énergies renouvelables, celle-ci est loin de faire l'unanimité en France. « Notre système énergétique basé sur le nucléaire ne fournit pas assez d'électricité pendant les pics de consommation de l'hiver, ce qui fait que dans ces périodes, nous achetons massivement de l'électricité produite dans des centrales à charbon par nos voisins européens », explique Michel Dubrome responsable énergie chez France nature Environnement. À cette critique s'ajoutent de nombreuses autres parmi lesquelles : l'incapacité à gérer les déchets nucléaires, l'exposition aux catastrophes climatiques, le coût d'entretien des centrales.
 
Dans sa stratégie hydrogène, le gouvernement joue ainsi sur la confusion entre hydrogène bas carbone produit à partir d'électricité d'origine nucléaire et hydrogène issu d'énergies renouvelables, qu'il appelle tout deux « hydrogènes décarbonés ». Ainsi, alors que des objectifs « d'hydrogène décarboné » sont annoncés, impossible de savoir quelle part d'hydrogène renouvelable ceux-ci contiennent...
 

La France à la traîne sur le renouvelable

« Dans une perspective de développement soutenable, c'est bien l'hydrogène renouvelable qui doit être privilégié », avance Stéphane Chatelain de l'association Négawatt. Vu sous cet angle, le « miracle » de l'hydrogène butte contre un obstacle bien connu du système énergétique français : le faible développement des énergies renouvelables en France. « Au vu du retard que la France a pris en la matière, l'hydrogène renouvelable ne sera pas disponible en quantités significatives avant 2035 », pronostique Stéphane Châtelain.  
 
De fait, alors que la France s'est engagée en 2009 devant l'Union Européenne à porter la part des énergies renouvelables à au moins 23 % de la consommation d'énergie finale du pays d'ici à 2020, elle n'aura atteint que 16,6 % d'énergies renouvelables en 2018, données les plus récentes1. À titre de comparaison, la Suède, la Finlande et le Danemark étaient respectivement à 54 %, 41 % et 36 % de part d'énergie renouvelable dans la consommation finale du pays en 2018 et avaient alors déjà dépassé leurs objectifs pour 2020.
 
Vu sous cet angle, le plan hydrogène est loin de constituer à lui seul une solution miracle à la crise de l'énergie. D'autant plus que dans de nombreux cas, l'utilisation de l'hydrogène ne paraît pas être la plus adéquate.
 

Des taxis bleu ciel

Ils sont bleu ciel, arpentent les rues parisiennes sans un bruit et ne rejettent que de l'eau. Les taxis Hype ne sont pour l'heure qu'une centaine mais l'objectif du patron de l'entreprise est clair et ambitieux : remplacer les taxis et les VTC parisiens par une flotte de voitures à hydrogène. « Notre pari, c'est de proposer une plateforme, sur le modèle d'Uber. La différence c'est que nos véhicules n'émettent pas de CO2 puisqu'ils fonctionnent à l'hydrogène. Comme nous proposons une alternative écologique aux mêmes tarifs que les VTC, nous allons gagner les faveurs de la clientèle et donc des chauffeurs ».
crédit : Wikimedia commons
Depuis 2017, Hype a signé un partenariat avec le géant de l'hydrogène (carboné) Air liquide, qui a construit depuis 4 stations-services dans Paris pour fournir le précieux gaz.
 
Pour Mathieu Gardies, l'hydrogène aura véritablement été une solution miracle. À la fin des années 2000, l'entrepreneur tente de lancer une plateforme de taxis électriques. Malheureusement les véhicules ne sont pas adaptés au travail des chauffeurs : trop peu d'autonomie, un temps de recharge trop long, le projet patine et périclite. C'est l'hydrogène qui lui donnera un second souffle en 2014. Grâce au gaz miracle, fini les galères : les voitures peuvent rouler plus de 500 km d'affilée et se rechargent en 3 minutes.
 
« Pour l'instant, nous ne dégageons pas de marge. Notre but est de faire basculer le marché », détaille Mathieu Gardies. Un objectif trop ambitieux pour cette entreprise qui n'était qu'une start up il y a quelques années ? Pas si sûr. Depuis 2017, Hype a signé un partenariat avec le géant de l'hydrogène (carboné !) Air liquide, qui a construit depuis 4 stations-services dans Paris pour fournir le précieux gaz. Hype compte ainsi passer de 100 à 600 chauffeurs en 2021. Hype met ainsi sur le devant de la scène la question de la voiture à hydrogène, en réalité loin de faire l'unanimité.
 

La voiture à hydrogène ?

Car faut-il vraiment souhaiter que les voitures à hydrogène recouvrent nos rues ? Comme France Hydrogène qui voudrait voir 300 000 véhicules à hydrogène circuler sur les routes de France à horizon 2030. De nombreuses contre-indications relativisent la possibilité de les massifier.
 
En premier lieu, leur prix. Pour l'heure, les voitures à hydrogène coûtent entre 45 000€ et 75 000€. Et les solutions proposées par France Hydrogène pour que « les foyers modestes puissent accéder à l'hydrogène » (prime écologique de l'État, prêt à taux zéro), semblent totalement déconnectées de la réalité quand on sait plus de 50 % des Français gagnent moins de 1800€ par mois. « Si une certaine baisse des prix peut éventuellement être attendue par effet d’échelle, atteindre la compétitivité économique semble hors de portée des véhicules hydrogène », résume Négawatt.
 
Et ce n'est pas le seul souci. « On ne sait pas fabriquer les piles à combustible autrement qu'en utilisant du platine. Or dans le cas où on irait vers une fabrication de masse de véhicules à hydrogène, on pourrait être confronté à une pénurie de platine », alarme Stéphane Châtelain. En définitive, la pile à combustible prend trop de place pour un véhicule léger et paraît plus adaptée aux trains, aux bus, voire aux avions qu'aux voitures.
 
Le plan du gouvernement ne s'y trompe pas et annonce d'ailleurs donner la priorité au développement de l'hydrogène dans les mobilités lourdes. Le train à hydrogène circule en effet déjà en Allemagne et en Autriche. À Lyon, la métropole prévoit d'effectuer le ramassage des ordures avec des véhicules à hydrogène d'ici la fin du mandat. Négawatt rappelle enfin que pour les mobilités légères, le bio GNV et les véhicules à batteries, dont les batteries font sans cesse des progrès, sont préférables à l'hydrogène. 
 

Tout reste à faire

Symbole ô combien éloquent que le rêve hydrogène reste encore à bâtir : en France, il n'existe à l'heure actuelle aucune usine de pile à combustible de grosse puissance. La première devrait néanmoins voir le jour fin janvier dans la vallée de la chimie lyonnaise à Saint-Fons d'ici fin janvier 2021. Créée par l'entreprise Symbio, contrôlée à parité par Michelin et Faurecia, elle devrait accueillir plusieurs centaines de salariés d'ici quelques années.
 
« La vallée de la chimie est en pleine mutation et a fait de l'hydrogène son cheval de bataille », explique Julien Lahaie, qui dirige la mission Vallée de la chimie sous l'égide de la métropole de Lyon. Ainsi, en partenariat avec la Compagnie Nationale du Rhône, la métropole souhaite également construire un électrolyseur pour fabriquer de l'hydrogène renouvelable à partir du barrage hydroélectrique de Pierre-Bénite.
 
Le site, qui a été désigné par le gouvernement comme un site stratégique pour la relocalisation industrielle, concentre actuellement 50 000 emplois dont 10 000 dans la chimie et espère bientôt en accueillir 2000 nouveaux. Mais tout reste à faire et c'est bien ce qui caractérise la stratégie hydrogène de Barbara Pompili.
 
Et ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle. Nous ne sommes qu'aux premiers mois d'un plan qui se déploie sur dix ans et rien n'est encore joué. Quelle place pour l'hydrogène renouvelable ? Pour quels types de mobilités ? Qui produira les piles ? S'il est certain que l'hydrogène sera un des grands sujets énergétiques de la décennie à venir, les arbitrages sont loin d'être tous rendus. Une bataille politique reste à mener pour que l'hydrogène soit véritablement l'énergie de la transition écologique.
 
NOTE DE BAS DE PAGE :
1. Source : communiqué d’Eurostat (une direction générale de la Commission européenne chargée de l'information statistique à l'échelle communautaire), janvier 2020.

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