[BAIE DE SAINT-BRIEUC] les pêcheurs-cueilleurs de Saint-Jacques

Publié le mer 17/03/2021 - 07:38

Crédit Photo : Céline Diais

Par Céline Diais 

Sur le Ki Dour Mor, ni drague ou sacs en anneaux d'acier pour ramener le précieux coquillage. L'équipage est l'un des rares en Bretagne à cueillir à la main, d'octobre à avril, la coquille Saint-Jacques. Une technique douce qui préserve l'environnement en ne raclant pas les fonds marins. Reportage en baie de Saint-Brieuc.

« L'eau est à 8°. On va peut-être attendre le dernier moment pour enfiler nos combinaisons », sourit Steven Rivoallan, bien emmitouflé. Ce matin de janvier, l'ancien pompier de Paris plongera avec son binôme Wally Wade. « On est toujours deux pour la sécurité ». À bord du Ki Dour Mor, le matériel est prêt.

Le bateau est l'un de rares à posséder la licence pour pêcher la coquille Saint-Jacques en plongée. À la barre, Kenan Riou vérifie les bouteilles d'oxygène. La mer est calme. Le jour n'est pas encore levé quand le bateau file au large de Saint-Quay-Portrieux. La baie de Saint-Brieuc constitue l'un des plus importants gisements de coquilles Saint-Jacques en France. À neuf heures piles, Wally et Steven se laissent tomber en arrière. « Sous l'eau à 20 mètres, la visibilité est réduite, il faut avoir l’œil. On ne sélectionne que les plus belles coquilles. Cette pêche douce s'apparente à de la cueillette », détaille Wally. Tout l'inverse des dragues, ces gros râteaux utilisés généralement par les marins pêcheurs pour ramener le coquillage, et qui raclent les fonds marins pour déterrer les Saint-Jacques.

Vente en circuits courts

Sous l'eau, les deux plongeurs remplissent leurs filets. Kenan les réceptionne et opère un deuxième tri. « On a droit à 450 kg par bateau, contre plus d'une tonne pour les dragueurs  ». La pêche à la Saint-Jacques est l'une des plus encadrées par les structures professionnelles. Les comités des pêches locaux fixent pour chaque campagne un nombre de licences, un calendrier, des horaires, une taille minimale et un quota global annuel à ne pas dépasser.(2) Sur le gisement briochin, la pêche est limitée à deux heures pour les plongeurs et seulement 45 minutes sur les coquilliers.

Avec les paliers à respecter, le temps sous l'eau est précieux. « Il ne faut pas oublier qu'on risque notre vie », poursuit Steven. Onze heures pile, les plongeurs refont surface. Le temps de troquer les combinaisons pour des vêtements étanches et la deuxième partie de la journée commence au port. Dans leur local derrière la criée, le Ki Dour Mor stocke le nécessaire pour commercialiser ses Saint-Jacques. L'équipage les valorise lui-même. « On gère des petits volumes. Pendant les fêtes de fin d'année, on passait plus de temps à conditionner les produits qu'à pêcher », s'amuse Kenan.

Sur le pont, les marins pèsent et mettent en bourriche la récolte du jour. Fiers de leurs produits. « Regarde comme elle est belle. La Saint-Jacques n'est pas abîmée. Il n'y a pas de sable à l'intérieur », montre Wally. La cargaison sera vendue en circuits courts à des restaurateurs et des particuliers. L'excellence a un prix et permet à l'activité d'être viable économiquement. En moyenne, leurs coquilles se vendent 5 euros du kg, contre 2,5 pour celles pêchées à la drague.

Méconnue et minoritaire

Voilà trois ans ans que l'équipage du Ki Dour Mor valorise cette technique. « La mer et ses ressources sont des biens rares, on se doit de les protéger. Après avoir été matelot sur plusieurs bateaux et vu les dégâts provoqués par certaines techniques de pêche, je ne me voyais pas faire autrement que pêcher en plongée bouteille », explique le patron du Ki Dour Mor, Victor Coutin.

Cette pêche respectueuse de l'environnement reste pourtant méconnue et minoritaire. La coquille Saint-Jacques ou Pecten maximusde son nom latin vit essentiellement sur les côtes bretonnes et normandes. Cette année, 732 licences ont été attribuées par les comités de pêches locaux sur ces gisements. Sur ces 732 licences, 19 le sont à des pêcheurs plongeurs, 10 en baie de Saint-Brieuc, 7 à Saint-Malo et 5 dans l'estuaire de la Rance. Enfin 358 licences ont été attribuées pour pêcher la Saint-Jacques sur la côte Atlantique, gisement secondaire, toutes à des dragueurs.

« En baie de Saint-Brieuc, en 2015-2016, année test, 5085 tonnes de coquilles ont été débarquées à la drague, 20 par les plongeurs. En 2019-2020, 5338 tonnes on été débarquées à la drague et 146 par les plongeurs, soit seulement3 %  de la pêche », indique Spyros Fifas, chercheur à l'Ifremer, spécialisé dans l'étude des populations de Saint-Jacques en Bretagne.

Autorisation récente

C'est à Saint-Malo en 1994 que la première autorisation pour pêcher en plongée cet or blanc est née. « Avant, il y avait beaucoup de braconnage », se souvient Philippe Orveillon, vice-président du comité des pêches 35 et l'un des premiers pêcheurs plongeurs professionnels. « Pour ne pas faire concurrence aux autres marins, on a démarré avec les ormeaux, une ressource disponible uniquement en plongée ou à pied. Pour la Saint-Jacques, ça a été plus compliqué. Les autres pêcheurs pensaient qu'on allait piller la ressource ». Mais en 1998, au niveau local, 80 % des stocks d'ormeaux disparaissent en quinze jours à la suite d'une pathologie. « On a eu accès à l'or blancmomentanément. Et puis l'estuaire de la Rance est devenue une zone protégée, interdite au chalut, à la drague. Ça a été notre chance. En 2001, nous avons obtenu la licence pour plonger dans l'estuaire. De fil en aiguille, en étant rigoureux sur les quotas, en se faisant élire au comité des pêches, on a gagné la confiance des autres pêcheurs et on a fini par obtenir l'autorisation de plonger sur l'ensemble du gisement malouin.Le comité des pêches des Côtes-d'Armor nous a suivis en 2015-2016 ».

La Saint-Jacques fait le bonheur des gourmets. Mais selon les données de France Agri Mer, la pêche française peine à assurer la consommation nationale. « Notre activité est rentable, nos salaires sont sensiblement équivalents aux pêcheurs à la drague », insiste Philippe Orveillon. Mais la pêche en plongée n'est pas la panacée selon lui. « Elle devient aussi dangereuse avec la turbidité et la profondeur. Pour l'instant, par rapport à la demande du marché, la drague reste indispensable, au vu des volumes qu'elle permet de débarquer. Maintenant, il faut poursuivre notre effort pour médiatiser cette technique, montrer qu'elle est viable économiquement et surtout étendre les licences de pêche en plongée à de nouveaux gisements », insiste le pionnier de la Saint-jacques en plongée.

 

 Destruction de la biomasse marine

Plus les engins de pêche pénètrent profondément dans le sédiment, plus la vie marine est impactée. C’est ce qu'a montré une étude parue en août 2017 de la revue Pnas (Proceedings of the National Academy of Sciences). Cette étude internationale qui compte 16 coauteurs, et agrège les données de 70 analyses, chiffre par groupes d’engins le niveau de destruction de la biomasse marine et le délai de récupération. La barre dentée de la drague à coquilles s’enfouit de 5,5 cm et porte atteinte à 20 % de la vie marine. Une donnée supérieure au chalut de fond classique qui pénètre dans les fonds marins de 2,4 cm en moyenne et élimine 6 % de la biomasse par coup de chalut. Le délai de récupération de la faune et de la flore marine apparaît de 1,9 à 6,4 années, selon l’engin, la profondeur des fonds, l’ampleur de la pénétration et la nature des sédiments.

L'étude en anglais :

www.pnas.org/content/114/31/8301

 

Notes de bas de page :

(1)En baie de Seine, l'autre gros gisement de coquilles en France, la tendance est la même avec une biomasse totale exploitable estimée à 64 000 t, un niveau proche du record de 2018.

(2) : Cette pêche très encadrée semble porter ses fruits : pour l'Ifremer, les chiffres positifs pour les coquilles Saint-Jacques observés depuis le début des années 2000 s'expliquent par des conditions climatiques favorables et un engagement des professionnels pour diminuer l'effort de pêche (dates et horaires réduits notamment), et par l’amélioration des engins de pêche avec l’utilisation d’anneaux de drague plus grands pour laisser les juvéniles au fond de l'eau.

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