[ TOULOUSE ] Le gratte-ciel de la discorde

Publié le ven 25/10/2019 - 16:17

Par Guillaume Bernard.

Une tour de 150 m qui devrait chatouiller les nuages du ciel toulousain à l’horizon 2024, c’est le projet porté par la municipalité, dans le cadre d’un chantier plus vaste de rénovation urbaine, Toulouse EuroSudOuest (Teso). Mais si la construction du gratte-ciel est actée, les opposants dénoncent les arguments écologiques du projet qu’ils jugent peu ambitieux. Un rapport d’enquête publique tend, sur ce point, à leur donner raison.

Elle doit être le symbole du futur réaménagement du quartier de la gare qui débute cette année et d’un « urbanisme de demain » plus respectueux de l’environnement. Pourtant, la tour de 150 m qui devrait être construite pour 2024, divise les Toulousains. Son caractère écologique, vanté par les élus et le promoteur, n’a rien d’une évidence.

« C’est passé en douce pendant l’été, tempête Richard Mebaoudj, quand Toulouse était vide et que le peu de gens qui restaient crevaient de chaud ! » Le président de l’association Non au gratte-ciel de Toulouse ne décolère pas. Le 17 juillet 2019,  la commission d’enquête publique a rendu un avis favorable concernant le permis de construire de la tour Occitanie. Coincée entre la gare et le canal du Midi, c’est la pièce maîtresse d’un projet d’aménagement urbain bien plus vaste : Toulouse EuroSudOuest (TESO), qui prévoit la construction de 2000 à 2500 nouveaux logements et de 300 000m² de bureaux sur les 135 hectares aux alentours de la gare Matabiau, à l’horizon 2030.

« La municipalité n’a pas perdu de temps, à peine la commission avait-elle rendu son rapport que déjà le permis de construire était signé », ponctue le retraité, devenu une figure de l’opposition au gratte-ciel dans la ville rose. Et pour cause, il n’y a pas de temps à perdre puisque le projet colossal, estimé à 160 millions d’euros - à la charge du promoteur - devrait voir le jour avant 2024. Pour la municipalité, le bâtiment sera le symbole du « Toulouse de demain » : une ville à l’habitat plus dense. « 7000 à 8000 nouveaux habitants s’installent chaque année à Toulouse. Pour répondre à cette demande en évitant l’étalement urbain trop coûteux en déplacement, il nous fallait densifier la démographie toulousaine », justifie Annette Laigneau, adjointe au maire de Toulouse en charge de l’urbanisme.

Mais alors qu’une telle déclaration pourrait inquiéter les Toulousains dont la qualité de vie est aussi liée à l'urbanisme de petite taille de leur ville, l’élue rassure : « Nous cherchons à pratiquer un urbanisme dynamique mais pas un urbanisme débridé. Le gratte-ciel doit être le symbole de cette qualité. » « Elle fera basculer Toulouse du minéral au végétal », a même confié Jean-Luc Moudenc, maire de la ville dans une interview au site d’information Actu Toulouse en mai 2019. De quoi faire tousser les opposants au projet, pour qui il n’est rien d’autre qu’une « arnaque écologique ».

Une tour greenwashée

« La tour Occitanie sera le point d’orgue de la promenade du dimanche des Toulousains » avait déclaré Jean-Luc Moudenc lors d’une conférence de presse le 18 mars 2019. C’est pour créer cette continuité paysagère entre le canal et l’immeuble que la compagnie de Phalsbourg, son promoteur et développeur, a choisi d’y planter 2200m² de surface végétale, soit environ la moitié d’un terrain de football.


« On sera bien loin de la véritable forêt que l’on voit sur les images de synthèse », une architecte toulousaine anonyme, critique du projet Teso. 

Pour les opposants, les arbres ne servent qu’à couvrir une vaste opération de « greenwashing ». « Je doute que la végétation puisse être aussi verdoyante que la Compagnie de Phalsbourg ne le montre sur ses premières projections visuelles », explique une architecte, membre de l’association Non au gratte-ciel de Toulouse, souhaitant préserver son anonymat. « Il y aura deux parties arborées : un jardin situé sur la terrasse d’un restaurant du 9e étage où on trouvera a priori 150 arbres de 2,5 mètres maximum, et les deux “rubans verts” qui s’enroulent en spirale sur le gratte-ciel et où se tiendront 1300 arbustes. On sera bien loin de la véritable forêt que l’on voit sur les images de synthèse. » Des arbres qu’il faudra arroser à l’eau potable puisque la récupération de l’eau pluviale n’est possible que sur les toitures inaccessibles, trop peu nombreuses sur le bâtiment. Le promoteur évalue la quantité d’eau nécessaire à 2300m3 par an, un chiffre sans doute sous-estimé selon le rapport d’enquête publique.

Les banderoles anti gratte-ciel déployées par les manifestants, le 13 octobre 2018.

Enfin, sous la végétation, ce ne sont pas moins 80 000 tonnes de béton, 2150 tonnes de structure métallique et 20 000m² de façades vitrées qui constitueront la majeure partie du bâtiment. Des matériaux dont la commission d’enquête publique précise qu’ils sont « à très fort contenu énergétique » et qu’elle conseille de remplacer par des matières recyclées ou biosourcées.

La Compagnie de Phalsbourg a beau insister sur les qualités de l'immeuble en matière d’économie d’énergie et mettre en avant sa « façade double peau » permettant de réduire l’utilisation de la climatisation, à la fin, le rapport d'enquête publique donne raison aux opposants en ce qui concerne le caractère écologique du bâtiment. Si elle juge le projet « très performant par rapport aux tours existantes », il reste « peu ambitieux par rapport à la consommation d’un bâtiment basse consommation ». Elle ajoute que « malgré les nombreuses certifications environnementales visées, ce projet qui se réfère peu à l’économie circulaire, reste peu performant en ce qui concerne la sobriété énergétique et la préservation des ressources naturelles ». « Malheureusement, cet avis n’a rien de contraignant », regrette le président de l'association Non au gratte-ciel de Toulouse.

Densifier le bâti ?

Seul l’argument de la densification démographique pourrait peut-être justifier la pertinence écologique du projet. Divisée entre ses 11 000m² d’habitations (126 logements), ses 13 000 m² de bureaux, et ses 10 000m² de commerces, restaurants, bar et hôtel, le gratte-ciel accueillera au maximum de sa capacité environ 3000 personnes, de quoi éviter, dans une certaine mesure, l’étalement urbain.

Mais pour que cette densification permette vraiment de réduire les déplacements en voiture, il faut encore que le réseau de transport à proximité de la tour soit au point. « C’est le quartier le mieux desservi de la ville, fait valoir Annette Laigneau, tout est là : bus, métro, trains. » La Compagnie de Phalsbourg affirme d’ailleurs avoir fait un pari risqué en refusant d’installer des parkings dans le bâtiment. « C’est un vrai frein à la commercialisation que de vendre des appartements en centre-ville sans parkings, assure Vincent de Wolbock, chef de projet à la Compagnie de Phalsboug, mais nous croyons aux développement des transports en commun. »

Richard Mebaoudj n’est pas de cet avis : « Un parking privé sous-terrain de 400 places vient juste d’être construit à deux pas, sur les allées Jean-Jaurès. Les habitants et travailleurs iront se garer là-bas et il n’y aura pas de réduction de la circulation. Au contraire, la tour ne fera qu’augmenter les embouteillages au bord du canal. Si c’est ça le futur, il n’est peut-être pas assez ambitieux en matière d’écologie », conclut le président d’association.

Plus d’infos :

Le rapport de la commission d’enquête publique sur le projet Toulouse EuroSudOuest (TESO)

http://www.haute-garonne.gouv.fr


 

 

 

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