[THEMA] Sobriété : faire MOINS, mais MIEUX

Publié le ven 06/05/2022 - 12:00

Par Quentin Zinzius

Pour décarboner efficacement nos sociétés, pas de doute, il va falloir miser sur la sobriété. Bien loin du cliché Amish, la réduction de nos consommations permettrait de remplir nos obligations climatiques en termes d’émissions de CO2, tout en assurant une plus juste répartition des ressources. Explications.

Pour pallier la crise climatique et le déclin du pétrole, la France a inscrit dans la loi, dès 2012, un objectif clair : diviser par deux nos consommations d’énergie d’ici à 2050. Et à l’heure où le Président Macron moque le « retour à la lampe à huile », la sobriété fait bel et bien son apparition dans les différents scénarios énergétiques. Derniers en date, celui du Shift Project, le plan de transformation de l’économie française, paru début 2022, ou encore le scénario NégaWatt, paru fin 2021(1). Un engouement qui n’est pas sans raison : « Les scénarios de sobriété énergétique sont les seuls qui permettent d’atteindre cet objectif de diviser par deux les consommations », confie Édouard Toulouse, membre de l’association NégaWatt et cofondateur du réseau de scientifiques « Enough » sur la sobriété.

Effet rebond

Mais en quoi consiste-t-elle au juste ? « La sobriété questionne l’ensemble des usages de la société humaine, afin d’en optimiser les consommations d’énergie », explique le spécialiste. En clair, elle définit les besoins essentiels à assurer à une population et évalue les moyens à mettre en place pour les satisfaire, en limitant au maximum la consommation d’énergie. « Il s’agit aussi d’apprendre à adapter nos consommations à l’énergie disponible, plutôt que l’inverse », complète Loïs Mallet, directeur de l’Institut Momentum. Elle est ainsi souvent associée à une question d’efficacité – faire plus avec moins –, « alors qu’elle correspond d’avantage à faire moins, mais mieux, en respectant les limites planétaires », différencie Édouard Toulouse. Car l’efficacité énergétique a également des effets pervers sur les consommations. « Plus on augmente l’efficacité énergétique d’un produit, plus on démultiplie son utilisation. C’est ce qu’on appelle l’effet rebond », résume-t-il. « L’approche uniquement technologique n’est pas une trajectoire de sobriété. La sobriété, c’est gagner en efficacité ET réduire les consommations ».

Qualité de vie

Malgré l’impératif climatique, une inquiétude demeure : la sobriété nécessaire est-elle socialement acceptable ? « Il n’y aura pas de retour à la charrue ou à la bougie… ce sont des exagérations infondées, répond Édouard Toulouse. Ce qu’il faut imaginer, c’est une vie un peu moins « à toute vitesse », plus raisonnée sur le numérique, et avec un régime alimentaire plus sain, basé sur des végétaux produits localement ». Une vision partagée par Loïs Mallet : « Tout ira plus lentement dans une société où une majorité de la population exercera, au moins en partie, une activité agricole selon les principes de la permaculture. Ceci permettra de répondre aux besoins alimentaires, avant tout locaux, avec une infime consommation énergétique ». « Beaucoup de mesures de sobriété améliorent même la qualité de vie », reprend Édouard Toulouse. Par exemple, prendre le vélo plutôt que la voiture pour aller travailler est non seulement positif pour le climat et la pollution, mais aussi pour la santé. Un comportement de sobriété qui trouve déjà écho aujourd’hui en France ; comme celui de réduction de la consommation de viande.

Sobriété sociale

Pour autant, les objectifs de sobriété ne sont pas les mêmes pour tout le monde. En effet, si celle-ci repose sur une consommation raisonnée des ressources, elle est également intimement liée à la justice sociale. « Ceux qui consomment trop doivent réduire leurs consommations, pour permettre à ceux qui consomment moins, de se développer », résume les deux spécialistes. « On ne demande pas aux plus précaires, qui subissent déjà les effets du changement climatique, d’être plus sobres »(2), défendent-ils. Pour Loïs Mallet, la solution pourrait résider dans le rationnement carbone : chaque citoyen disposerait d’un quota carbone annuel. « Ceux qui émettent le plus de CO2 [les plus riches] seraient ainsi immédiatement contraints de faire des choix : faire un aller-retour en avion à New-York ou rénover leur logement ? », présente-il. Un budget qui inciterait très tôt la société à transformer sa mobilité et diminuer fortement sa consommation d’énergie de manière égalitaire, juste et progressive, à mesure de la réduction annuelle du quota. « Sortir du pétrole implique des choix radicaux, martèle Loïs Mallet. Mais si on continue de le brûler, le climat sera foutu en l’air bien avant qu’on ait atteint nos objectifs ! », complète Édouard Toulouse. Le ton est donné.

 

(1) Plan de transformation de l’économie française : https://theshiftproject.org/article/ptef-livre-et-site-web/

Scénario NégaWatt : https://negawatt.org/Scenario-negaWatt-2022

(2) Pour rappel, les 10 % de la population les plus riches sont responsables de 50 % des émissions de CO2 mondiales, selon un rapport d’Oxfam.

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