Tiers-lieux : les étudiants s’engagent

Publié le lun 07/05/2018 - 12:02

En février 2014, ils étaient 17, « perchés dans [leurs] utopies… ». Quatre ans plus tard, leurs rêves se sont incarnés : un lieu de vie explore les valeurs de l’économie sociale et solidaire et du développement durable ! Association loi 1901, LieU’topie est une adresse solidaire et culturelle inédite à Clermont-Ferrand, créée pour les étudiants, par les étudiants.

Par Sonia Reyne

Café et épicerie solidaires, lieu de réunion, cuisine partagée… En fin d’après-midi, les étudiants arrivent à LieU’topie pour des raisons variées. Aujourd’hui, une maman et ses deux enfants attendent sagement le début d’un atelier « light painting » en buvant des limonades maison, pendant que Guilherme Abreu, étudiant brésilien, remplit son cabas de produits d’épicerie et de fruits et légumes bio. Louis, étudiant et bénévole à l’asso, sert une bière à Franck, qui plie les programmes au comptoir. « Je viens réviser là quand je me sens trop à l’étroit dans mon 9 m2 », confie l’étudiant à l’ESPE (École supérieure du professorat et de l’éducation). « Je cuisine ici parfois aussi. Pour une soirée anti-gaspi, j’ai préparé des cookies aux poivrons ! »Deux jeunes femmes s’isolent sur des canapés pour se faire des confidences, pendant qu’un jeune homme et une quinqua sportive installent le matériel pour l’atelier suivant. Jeanne découvre la cuisine partagée et son lave-linge à prix libre… La démarche initiale fonctionne, LieU’topie crée du lien social. Les étudiants ont même créé des jardins partagés intergénérationnels (voir encadré).


Faire une permanence, cela signifie être présent sur le LieU, servir au bar et échanger avec les visiteurs.© S. Reyne

Au départ, fin 2014-début 2015, les locaux étaient situés rue Abbé Girard, au coeur historique de Clermont . « Nous avions pris de l’ampleur et nous manquions d’espace pour faire tout ce que nous souhaitions »,explique Marine Barrier, 26 ans, chargée de vie associative. Depuis septembre 2017, LieU’topie a déménagé dans un ancien bar de quartier, à l’angle de la rue Kessler et de la rue Vermenouze. « Pendant deux mois, nous avons tout retapé. Les rideaux et le sol sont d’origine, sinon nous avons tout refait nous-mêmes. Le bar, les murs… avec de l’huile de coude et pas mal de récupération, des dons, des achats dans des dépôts-ventes… »Le nouveau tiers-lieu se situe au centre du quartier des facs. « Nous sommes passés de 60 à 115 m2 ! Nos nouveaux locaux permettent de se préparer à déjeuner, de boire un verre, de se poser tranquillement, de travailler grâce au wifi… », apprécie Jean-Baptiste Pegeon, co-président et étudiant en Histoire.

COMME UNE COLOCATION !

En plus de la programmation culturelle quotidienne, LieU’topie propose régulièrement des événements. Les 7 et 8 mars, l’association a organisé « deux jours d’événements avec au total 80 personnes : 5 ateliers-débats et une scène ouverte pour clôturer ces deux jours avec de la danse, du chant, du récit, du slam et des instruments ! Nous avons parlé cycle des femmes, mythologie du cercle, sacré, sexualité, santé sexuelle, soins, oppressions, histoire des droits des femmes, combats, fishy queens, débats, droits LGBT… », s’enthousiasme Marine. Et la programmation se poursuit depuis. « Le soir, nous organisons des activités culturelles, des concerts, des ateliers, des groupes d’échange… »

À l’entrée du bar, de chaque coté de la pièce, des étagères accueillent l’épicerie solidaire, bio, locale, équitable… « C’est un outil de sensibilisation pour que les étudiants soient consom’acteurs. L’association ne fait aucun bénéfice sur les ventes »,précise Marine. Pour ce qui est du comptoir, « la lucrativité du caféest limitée, mais nous permet tout de même de faire des bénéfices »,complète Geoffrey Volat, co-président, l’un des fondateurs de l’association. L’adhésion de 3 euros, de septembre à juin, permet aux 700 adhérents de venir régulièrement ou occasionnellement. « Une trentaine de bénévoles sont actifs. Au conseil d’administration, outre les deux coprésidents, une dizaine de personnes se répartissent en pôles d’animation : le pôle épicerie-café, le pôle culturel, le pôle Do it yourself, le pôle germoir à projets… »parce qu’à l’origine, et encore aujourd’hui, l’un des objectifs de LieU’topie est d’être un tiers lieu étudiant convivial, entre l’université et la maison. Inédit à Clermont-Ferrand, crée pour les étudiants et par les étudiants, ce lieu reste un endroit ressource pour trouver aide, conseil et accompagnement aux projets.

RÉUSSIR LA TRANSMISSION

L’intuition de départ, née en 2012, était celle d’étudiants de la Licence 3 Échanges Internationaux qui pensaient nécessaire un lieu de vie étudiant à Clermont-Ferrand. Après un travail d’enquête auprès de leurs congénères, le résultat est sans appel : ce lieu de vie doit voir le jour, innovant, solidaire, social et culturel : ce sera le LieU’topie ! Depuis, des projets ont vu le jour, ont vécu, d’autres les ont remplacés. Des étudiants sont partis, d’autres sont arrivés et ce qu’a réussi l’association, c’est cette transmission. Les administrateurs ont entre 20 et 28 ans, et deux seulement étaient là à la naissance du projet. Deux animateurs assurent l’ouverture des locaux. Les étudiants et les associations étudiantes s’installent régulièrement pour organiser des réunions, des soirées ou des rencontres. Mardi prochain, ce sera soirée « Le genre et sa représentation dans le dessin animé »… Pas de doute, les étudiants inventent un monde nouveau !

Plus d'infos : www.lieutopie-clermont.org


LE COLLECTIF FEMMES DE MARS

Marine Barrier, chargée de vie associative, est également à l’initiative du collectif Femmes de Mars et des ateliers qui se sont déroulés à LieU’topie, les 7 et 8 mars. Les membres du collectif ne sont pas des professionnels du domaine, ce sont « des personnes qui se sentent concernées et qui souhaitent agir à leur échelle à partir de leurs valeurs communes, leurs expériences, cultures, croyances, leur orientation sexuelle, couleur de peau, mode de vie et philosophie », précise Marine. « Le collectif est apartisan et politique par ce qu’il défend et par l’organisation d’événements pédagogiques. Nous avons vocation d’éducation, de sensibilisation, de partage, d’inclusion, de lutte contre toutes formes de discriminations, de respect, de mixité, d’égalité, de solidarité. Nous souhaitons libérer la parole et prônons le mieux vivre ensemble en s’inscrivant dans l’intersectionnalité. Cultiver cette place pour que chacun trouve justement la sienne. »Les prochains ateliers explorent la pratique de l’oeuf de yoni, culture et genre, la virilité, gros corps…


GRAINE DE CAMPUS


© S. Reyne

Un groupe d’étudiants de LieU’topie décide en 2014 de créer un potager sur le campus des Cézeaux. Antoine Vernay, post-doctorant en biologie végétale est à l’époque président de l’association des naturalistes d’Auvergne : « Nous avons transformé ces 800 m2 en jardin partagé pour le cultiver en permaculture et expérimenter l’agroécologie. Et pour que les étudiants et les personnels de l’université puissent semer, planter, récolter sans contrainte. »Le projet a fait son chemin. « Aujourd’hui, 20 % des jardiniers sont étudiants et 80 % sont des habitants des immeubles résidentiels qui jouxtent le Campus »,ajoute le biologiste. Des retraités côtoient étudiants ou chercheurs autour des carrés de choux ou de poireaux. Le compost est opérationnel, mais le projet de poulailler a finalement échoué. « Aux beaux jours les étudiants organisent des soirées, des animations ou des concerts. »Un hôtel à insectes, des cassis, des framboisiers, quelques fruitiers ponctuent le terrain de façon anarchique. Les aromatiques attendent sagement que les pommes de terre, tomates ou côtes de bette sortent de terre.


INTERVIEW

Marine Haurillon : « EVE : un lieu rare en France »

Sur le campus de Saint-Martin-d’Hères, à l’est de Grenoble, l’Eve (Espace Vie Étudiante) est un bâtiment de 1100 m2 auto-géré par les étudiants par l’intermédiaire de l’association Seve (Savoirs Emancipation Vie étudiante). Marine Haurillon, trésorière, nous présente cet espace singulier qui vit par et pour les étudiants.


© SEVE

Comment est né ce projet ?

Il remonte à la fin des années 1990. L’idée était de créer un bâtiment géré à 100 % par les étudiants pour faire vivre le campus. Il a été inauguré en 2003. Depuis 2012, c’est l’association SEVE qui a reçu la délégation de service public pour sa gestion.

Que propose la structure ?

Le premier pôle, c’est le café associatif où les serveurs sont des employés étudiants à 100 %. Depuis trois ans, on s’oriente vers une gamme de produits locaux, bio, artisanaux à prix abordables. C’est un lieu de vie et de rencontre tout à fait classique. Mais ce qui est rare en France, c’est que ce lieu implanté sur un campus ne dépend pas du Crous. 

La Pépinière est aussi un lieu particulier…

À la Pépinière d’initiatives, trois employés étudiants accompagnent les associations comme les étudiants seuls dans leurs projets, que cela aille des demandes de calendrier des subventions à la création d’une association de A à Z. On héberge près d’une centaine d’associations étudiantes. Ponctuellement, on propose aussi des formations sur les divers aspects de la vie associative : communiquer, s’organiser en gestion étudiante, faire une demande de subvention…
L’Eve accueille également des événements réguliers ou ponctuels. En 2017, on a eu 444 événements allant de la journée de sensibilisation au bien-être, à la santé et à l’alimentation à des concerts ou des pièces de théâtre. La programmation est très éclectique. Ces événements se déroulent à l’Agora, une grande pièce avec une estrade, où les étudiants peuvent aussi venir manger, travailler, se réunir… En effet, la plupart des espaces du bâtiment sont en libre accès aux usagers.

Quel est le budget de l’association Seve ?

Notre budget annuel s’élève à 500 000 euros. La délégation de service public s’accompagne d’une dotation qui nous permet de faire vivre le bâtiment et qui couvre surtout les salaires des sept salariés. Le café associatif, lui, s’auto-finance.

Plus d'infos : www.eve-grenoble.fr

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