[THEMA] Géopolitique : Des changements stratégiques

Publié le lun 11/04/2022 - 12:00

par Quentin Zinzius

Au cours du XXème siècle, le pétrole a pris une place prédominante dans les échanges internationaux. Une domination qui s’estompe pourtant déjà : à l’aube de la transition énergétique, l’or noir va peu à peu être remplacé par d’autres matériaux, modifiant ainsi la géopolitique mondiale.

Source de pouvoir, d’argent, de conflits, d’inégalités. Sans le pétrole, ce ne sont pas que les moteurs qui s’arrêtent de tourner, mais tout un pan des relations internationales. Et à l’heure du déclin, une question se pose : qui aura la dernière goutte ? Car si actuellement la ressource est « offerte » à qui peut la payer, sa raréfaction pourrait voir émerger des tentatives d’« indépendance énergétique » : « C’est un phénomène qui s’observe déjà lors de pénuries alimentaires, pointe le philosophe Dominique Bourg, les états interdisent leurs exports afin d’assurer le couvert à leurs populations. » En décembre 2021, le Mexique a ainsi été le premier à franchir le pas en interdisant ses exports de pétrole, afin de tendre vers une « autosuffisance nationale ». Même l’Arabie Saoudite, pourtant un des principaux exportateurs de pétrole, a entamé une diversification de ses sources d’énergie : hydrogène, solaire et même nucléaire.

Tensions d’approvisionnement

Alors manœuvre politique ou réelles tensions sur l’approvisionnement mondial ? Pour Sylvie Matelly, économiste et directrice adjointe de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), aucun doute : « La pénurie est devant la porte ». En l’Europe, le manque pourrait même se faire sentir dès 2030, selon un récent rapport du Shift Project(1). En effet, avec un « risque de contraction sur les approvisionnements pouvant aller jusqu’à 8 % », les conséquences seraient « potentiellement destructrices pour l’économie et pour l’équilibre des sociétés en général », indique le rapport. Un risque pris très au sérieux par Sylvie Matelly : « Les états sont coincés entre les besoins des consommateurs et les objectifs de neutralité carbone. Les gens et les entreprises ont encore besoin de pétrole pour vivre et sans eux, les états perdent en poids à l’international ». Mais pour Jean-Pierre Favennec, consultant dans le secteur de l’énergie, la pénurie n’a rien à voir avec les réserves pétrolières : « nous ne manquons pas de pétrole, mais d’investissements ». Poussés par les objectifs de réduction des gaz à effet de serre, les pays développés ont en effet réduit leur soutien financier aux énergies fossiles, notamment à l’occasion de la COP26. « Nous devons réduire notre empreinte carbone, c’est un fait, mais nous ne devons pas nécessairement nous passer du pétrole », insiste le consultant.

Des richesses naturellement mieux réparties

Pourtant à l’échelle internationale, la tendance est claire : « Nous allons passer d’une dépendance à l’énergie fossile, à une dépendance en matières premières non énergétiques », expliquent Sylvie Matelly et Jean-Pierre Favennec. Et la différence est de taille : contrairement au pétrole, dont la disponibilité diminue à mesure qu’il est brûlé, les « matières non-énergétiques », quant à elles, se recyclent et se substituent. « La demande pour ce type de matière première n’est pas nécessairement croissante, car on apprend peu à peu à les économiser et à les recycler », complète l’économiste. Ces matériaux – le lithium, le cobalt, les terres rares(2), pour ne citer qu’eux – sont également mieux répartis à la surface du globe, diminuant de fait, le risque d’emprise et de dépendance des pays. Une donnée que nuance tout de même Jean-Pierre Favennec : « Environ 50 % des réserves mondiales de lithium, de cobalt et de terres rares, sont répartis respectivement dans trois pays : le Chili, la République Démocratique du Congo et la Chine ». Et si leur extraction reste aujourd’hui une activité très polluante, tous les pays semblent prêts au sacrifice : la Chine et les États-Unis en tête, mais aussi l’Europe ; Barbara Pompili ayant annoncé un projet de mine de lithium en France, qui couvrirait 10 à 30 % des besoins européens.

Inégalités mondiales

Mais ce n’est pas tant la pénurie en pétrole qui est à craindre en Europe, que ses conséquences au-delà de nos frontières. Sylvie Matelly explique : « Il y aura une précarisation d’une partie de nos sociétés occidentales, c’est certain. Mais la crise frappera en premier les pays pauvres et en développement, qui ne pourront plus payer pour accéder au pétrole, devenu trop cher ». Double sanction donc, pour ceux qui ne pourront pas profiter du pétrole pour se développer, et subiront ses conséquences climatiques. « Il y aura certainement de nouveaux conflits, des famines, des réfugiés climatiques », décrit l’économiste, que le reste du monde aura donc à charge. Des situations que certains pays connaissent déjà, à l’exemple de Madagascar, frappé à l’été 2021 par une terrible sécheresse. « Quelle que soit la source de notre énergie, insistent unanimement Jean-Pierre Favennec et Sylvie Matelly, le monde aspire à la croissance énergétique, alors la géopolitique restera la même. Il y aura toujours la même compétition entre les pays, le même trio de tête [États-Unis, Chine, Europe] ». À moins, bien-sûr, d’un profond bouleversement du système.

 

Notes de bas de page :

(1)https://theshiftproject.org – étude sur le déclin de l'approvisionnement de l'UE en pétrole.

(2)Terres rares : groupe de métaux aux propriétés voisines, qui entrent dans la fabrication de nombreux produits technologiques et électroniques.

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