[ REPORTAGE ] Tero Loko : reprendre pied les mains dans la terre

Publié le lun 06/07/2020 - 07:00

Les locaux de Tero Loko sont implantés sur la commune de Notre-Dame-de-l'Osier en Isère.

 

Par Elodie Horn

En Isère, l’association Tero Loko s’est donnée comme mission d’accompagner les personnes réfugiées et toutes celles en situation de fragilité vers une insertion durable dans le territoire. Avec, en filigrane, la volonté de valoriser et de ramener de l’activité dans le village d’accueil.

Douze employés sur un chantier d'insertion et quatre référents à plein temps dans un village isérois : voici les ingrédients de Tero Loko. L'association fait le pari d'embaucher des personnes, réfugiées ou non, en pleine campagne, afin de les ramener vers le chemin de l'emploi ou de la formation.  En toile de fond : la dynamisation d'un village ne disposant d'aucun service.

Ce mardi matin, ils sont six employés à s'affairer à laver et nettoyer les légumes dans les petits locaux de Tero Loko, à Notre-Dame-de l'Osier, un village de 500 habitants, situé à cinquante kilomètres de Grenoble. Masqués et gantés, les cinq salariés en insertion sont tous employés en contrat à durée déterminée d'insertion (CDDI) par l'association iséroise du même nom. Trois d'entre eux ont par ailleurs le statut de réfugié. Ils garnissent les paniers qui seront distribués aux 70 adhérents, la majorité venant les récupérer lors du marché qui continue de se tenir toutes les semaines. Une botte de carottes, des pommes de terre, une salade, un mélange de mesclun, un chou-fleur et un bouquet d'herbes aromatiques sont dispatchés dans des paniers tressés colorés. Au travail depuis 8 heures, légèrement plus tard que d'habitude à cause du confinement, ils ont commencé la journée par récolter ces légumes qu'ils ont eux-mêmes fait pousser dans les serres attenantes. Ces terres cultivées sans engrais chimique, désormais louées par l'association à la commune, étaient déjà cultivées par Cyril Meyer-Gueneco, anciennement maraîcher devenu encadrant et référent maraîchage à temps plein pour Tero Loko. « Lorsque les trois cofondatrices sont venues me parler du projet, cela faisait presque 10 ans que je travaillais seul. J'avais à l'idée de faire évoluer mon activité, peut-être de prendre quelqu'un pour m'accompagner, cela tombait à point nommé ! », précise le maraîcher de 50 ans, qui a eu une carrière de travailleur social au préalable et perçoit ce nouvel emploi comme une bonne synthèse de ses premières expériences.

 

Un retour vers la formation et l'emploi

Pour faire fonctionner ce projet, ils sont quatre employés à se partager sa codirection. Adeline Rony s'occupe de la boulangerie, Cyril du maraîchage, Lucie Brunet de la commercialisation et Fanny Auber de l'accompagnement socio-professionnel des personnes employées. En début d'après-midi, Fanny prend la route pour une quinzaine de minutes vers l'atelier où deux autres employés s'activent pour fabriquer le pain. En plein Ramadan, Adam qui dispose du statut de réfugié – l’une des conditions pour être suivi par Tero Loko - est en train de terminer de façonner les produits qui seront vendus sur le marché pour certains, alors que d'autres ont déjà été commandés. Adam, Soudanais d'origine, employé depuis mars dernier, détaille le beurre à l'aide d'un coupe pâte. « Je cherche un stage pour faire un CAP, j'ai envie d'apprendre la menuiserie », sourit le jeune homme qui s'exprime dans un français fluide qu'il apprend grâce à l'association. En plus de leur travail et la possibilité d'entrer en formation, des cours de français sont dispensés par une équipe de 12 bénévoles venant de Notre-Dame-de-l'Osier et des alentours à tous les accompagnés, qui, comme Adam, ont le statut de réfugié. De quoi les accompagner vers une insertion dans le monde professionnel, mais aussi dans la vie du village dans laquelle ils s'inscrivent. Tous les lundis, un repas ouvert permet aux habitants de venir se joindre à la joyeuse troupe. Le but : faire de Tero Loko un projet d'insertion dans le monde du travail, qui soit adapté aux besoins de l'échelle locale et ainsi être créatrice d'une dynamique sur un territoire peu habitué aux questions migratoires.

 

Ancrage local et accompagnement global

« Pour le moment, les locaux de la boulangerie sont situés à l'écart du village. Mais l'objectif est que toute l'activité soit située sur la commune, une fois que les travaux seront terminés. Nous travaillons sur un projet logement, qui doit permettre d’accueillir, à Notre-Dame-De-L’Osier, les salarié.es sans solution de logement. Nous travaillons de pair avec la mairie et Pluralis, bailleur social, sur ce projet. », précise Fanny Auber.

Le nom « Tero Loko », qui vient de l'Espéranto - langue inventée afin de permettre la communication entre les peuples - ajoute du sens à cette démarche. « Tero » signifie la Terre d'exil, mais surtout la Terre dans laquelle on s'ancre pour mieux s'épanouir. « Loko » se réfère au lieu, à la destination, faisant référence à la migration. « Tero Loko porte un atelier chantier d'insertion, et prochainement des solutions de logement sur le village.», détaille Fanny Auber. Les deux jeunes femmes qui ont lancé ce projet (Adeline Rony et Lucie Brunet) avaient déjà de l'expérience dans le domaine de l'accompagnement et de la migration et avaient pour ambition de proposer un projet global. Elles avaient déjà Tero Loko à l'esprit avant de trouver la commune idéale, dont le projet a été soutenu par la municipalité. « Des logements vont être construits, sans doute dans l'idée de réaliser un habitat mixte », ajoute Lucie Brunet, qui détaille le projet dont la teneur exacte devrait être déterminée d'ici les prochains mois. Tero Loko fonctionne actuellement avec des financements publics, privés et grâce à la vente de ses produits.

 

7 mois à 2 ans en contrat d'insertion

« Ils sont beaux ces paniers, c'est la petite touche de plus de Tero Loko : les clients apprécient », lance Marilyn, salariée accompagnée à Tero Loko, en désignant les paniers que les clients viennent récupérer. Marilyn a signé son premier contrat de 7 mois qui pourra être renouvelé jusqu’à 24. « Des amis m'ont parlé du projet. Je pensais au départ que ce n'était que pour les personnes réfugiées mais je rentrais dans les conditions d'admissibilité du programme. Aujourd'hui, Tero Loko m’a permis d’avancer sur mon projet de création d’entreprise  », exprime celle qui est accompagnée pour créer sa propre activité de magnétiseuse-masseuse. Car le but du travail d'insertion n'est pas forcément de faire de cette expérience son métier, mais surtout de remettre le pied à l'étrier. Comme le souligne Fanny Auber, « l'objectif est de les accompagner vers un retour au travail ou à la formation. Ils peuvent pendant la durée de leur contrat partir en stage, par exemple, ou encore en formation. Ils s'engagent à travailler sur les activités de production mais aussi d’avancer sur leur projet professionnel ». Tero Loko fait partie des réseaux Jardins de Cocagne et Emmaüs.

 Ce mardi soir, devant le marché installé dans la cour du petit local, de nombreux habitants viennent faire leurs courses de légumes et de pain, tout en respectant scrupuleusement les distanciations sociales. Pendant le confinement, l’association a maintenu ses activités et son marché hebdomadaire, ce qui a permis aux habitants du village et des alentours de pouvoir s’approvisionner en produits frais, biologiques et locaux. Un véritable engouement pour les circuits-courts s’est fait ressentir pendant cette période.

« En espérant que cela continue ensuite », conclut le maraîcher Cyril Meyer-Gueneco. Alors qu'aujourd'hui Tero Loko distribue de 60 à 70 paniers hebdomadaires, l'association vise à pleine échelle, les 120 paniers commandés chaque semaine. De quoi accompagner encore plus de personnes !

Plus d'infos

www.teroloko.com

www.alpesolidaires.org

emmaus-france.org

reseaucocagne.asso.fr

 

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