[MODE ETHIQUE] Passez à la « slow fashion »

Publié le lun 18/03/2019 - 09:50

Par François Delotte

La surconsommation de vêtements peu chers a des conséquences désastreuses sur l’environnement et les conditions de travail des ouvriers de l’industrie textile, particulièrement en Asie. Créateurs, marques, associations s’engagent pour favoriser une mode plus éthique, axée sur le « moins, mais mieux ».

Ils étaient des milliers à manifester dans les rues de Dacca, le 10 janvier dernier. Des travailleurs de l’industrie textile du Bangladesh demandaient une hausse de leurs rémunérations. « Les salaires minimums pour les ouvriers les plus mal payés ont augmenté d’un peu plus de 50 % ce mois-ci, pour atteindre 8 000 taka par mois (83 euros). Mais les travailleurs intermédiaires indiquent avoir eu une augmentation dérisoire, au regard de celle du coût de la vie, notamment de celui du logement », indiquait l’AFP, le 13 janvier dernier. Le Bangladesh est le deuxième producteur mondial de textile après la Chine. De nombreux sous-traitants de marques, dont les produits sont vendus dans les pays occidentaux se trouvent dans des pays de 165 millions d’habitants. H&M, Primark ou encore Carrefour, y font confectionner des vêtements, attirés par une main d’œuvre peu chère. Mais dont les conditions de travail sont souvent déplorables : on se souvient, il y a six ans, de l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza, à Dacca qui abritait des ateliers. La tragédie avait provoqué plus de 1000 morts...

Produire toujours plus vite...

« C’est l’une des conséquences de ce que l’on appelle la “fast fashion”. Ce phénomène est apparu il y a une vingtaine d’années. Depuis les années 1990, les marques font appel à des sous-traitants pour la fabrication de leurs vêtements, dans le but de produire de plus en plus vite et de moins en moins cher », souligne la sociologue Majdouline Sbai, auteure du livre Une mode éthique est-elle possible ? (Rue de l’échiquier, 2018). Réassorts permanents des rayons, soldes et décotes s’enchaînent dans les rayons des grandes enseignes... « Les prix bas sous-entendent des impacts humains, notamment en Asie, où est produit 70 % du textile mondial. En moyenne, seul 0,6 % du prix d’un t-shirt revient au salarié », explique Majdouline Sbai.

Cette dernière attire également l’attention sur les impacts environnementaux de cette « mode rapide » : « Le secteur du textile émet 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre chaque année. C’est plus que les transports aériens et maritimes réunis. » Elle poursuit : « Le secteur consomme aussi beaucoup d’eau : il faut l’équivalent de 70 douches pour faire un t-shirt. Par ailleurs, la moitié des vêtements sont composés de polyester. Lorsqu’on les lave, ils libèrent des particules dans l’eau. L’équivalent de 50 milliards de bouteilles en plastique est ainsi rejeté chaque année. »

Que faire pour limiter les impacts sociaux et environnementaux de notre consommation de vêtements ? « Il faut déjà s’interroger sur le prix des vêtements. Mieux vaut éviter le très peu cher. Car le low cost est souvent synonyme de faible rémunération pour les ouvriers. Même si des vêtements aux prix élevés peuvent également être conçus dans des conditions difficiles », indique Isabelle Quéhé, représentante du mouvement international Fashion Revolution, qui milite pour une mode « plus responsable ».

Pour elle, il faut d’abord rompre avec les réflexes de la « fast fashion », en portant les vêtements plus longtemps. « Il convient de davantage réparer et transformer nos habits ou de les confier à un professionnel pour les réparer et les transformer, conseille-t-elle. Il faut les entretenir. Les laver à 30 °C plutôt qu’à 60 °C, pour préserver les fibres. » Puis, « lorsque l’on veut s’en séparer, les mettre dans des bacs de recyclage ». On peut apprendre à réparer et à confectionner soi-même dans des ateliers de couture. Mais aussi dans des fab labs dédiés à la création et à la customisation de vêtements, qui commencent à se développer, comme le « tiers-lieu textile » Sew & Laine, près de Bordeaux.

Économie circulaire

L’un des effets de la « fast fashion » : la surproduction de matière textile, qui a inondé le marché durant les quinze dernières années. « Entre 2000 et 2014, la production mondiale a doublé : nous sommes passés de 50 à 100 milliards de vêtements vendus en 14 ans », explique Majdouline Sbai.

Comment recycler toutes ces fibres produites qui finissent pour la plupart à la poubelle ? Certaines marques françaises commencent à tirer parti avec succès de toute cette matière disponible. La Gentle Factory, marque du groupe Happy Chic (Bizzbee, Brice, Jules) propose une mode « désirable et responsable », selon sa directrice, Isabelle Merter. « Nous utilisons du coton recyclé et bio », assure-t-elle. « Nos produits sont confectionnés en France et, pour 25 % d’entre eux, dans des entreprises adaptées qui emploient des personnes en situation de handicap », poursuit la responsable de l’entreprise. Selon elle, la Gentle Factory devrait bientôt prendre son indépendance vis-à-vis d’Happy Chic et dissiper tout soupçon de caution « responsable » du groupe. Pour l’heure, la marque propose des sweats (premier prix à 60 euros), des jeans (dès 100 euros), des chinos (à partir de 110 euros) ou encore des chemises (110 euros). « Nous avons la volonté de rester accessibles. Nous pourrions encore essayer de baisser nos prix en optimisant nos chaînes de fabrication. Pour cela, il nous faudrait produire davantage. Or le coût de la main-d’œuvre est incompressible », avance Christèle Merter. D’autres marques, plus ou moins connues du grand public, s’inscrivent dans des démarches similaires d’économie circulaire. C’est le cas de 1083, ou encore Les Récupérables, qui tissent de nouveaux vêtements avec du textile recyclé.

La question de la provenance des matières premières non issues du recyclage est aussi un des enjeux de la filière « éthique » émergente. L’un des produits phares est au cœur de cet enjeu : le coton. Le coton bio utilisé par le Gentle Factory est par exemple certifié « GOTS », un des seuls labels intégrant des critères sociaux. « On peut s’y fier, car GOTS fait partie des labels certifiés par des organismes internationaux », commente Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Éthique sur l’étiquette, association qui lutte pour l’amélioration des conditions d’existence des employé-e-s du textile dans le monde. « Le problème de l’industrie du textile est qu’elle repose sur une forte intensité de main-d’œuvre et toute une chaîne de sous-traitance. Il est difficile d’avoir une traçabilité des produits qui sont conçus selon des circuits longs et complexes », continue-t-elle.

Développer les filières locales

Certaines entreprises ont décidé de contribuer à la revitalisation de la production des fibres locales. C’est par exemple le cas de l’entreprise Tuffery, basée à Florac, en Lozère. Julien Tuffery et sa compagne ont repris l’entreprise familiale, fondée il y a quatre générations. Ils proposent notamment des jeans en laine issue du Causse Méjean (Lozère) et de la plaine de La Crau, dans les Bouches-du-Rhône. « En Lozère, la laine s’avère une fibre disponible et peu valorisée », explique Julien Tufféry. « La matière est lavée en Haute-Loire, filée à Mazamet, dans le Tarn et tissée à Castre. Les produits sont confectionnés à Florac », détaille l’entrepreneur. Tuffery propose également des pantalons en chanvre. La fibre provient du Lot, mais aussi d’Allemagne. « La filière n’est pas encore assez structurée localement. Mais nous travaillons à son développement en Occitanie avec la Région et nos partenaires », indique Julien Tuffery.

Les premiers prix de Tuffery débutent aux alentours de 100 euros. « Nos meilleures ventes concernent des produits allant de 120 à 170 euros », confie Julien Tufferry. Pour obtenir des vêtements éthiques qui durent dans le temps, il faut donc mettre la main au porte-monnaie... L’un des principaux défis de la mode éthique demeure alors son accessibilité.

Comment faire changer durablement les grandes marques dans ce contexte ? « Le plus pertinent demeure l’action citoyenne et la mobilisation. Il faut signer des pétitions ou interpeller les marques sur les réseaux sociaux », défend Nayla Ajaltouni. « Par exemple, en 2017, nous avons obtenu une avancée dans la loi française : les multinationales sont devenues juridiquement responsables de leurs activités tout au long de leur chaîne de production », poursuit la coordinatrice d’Éthique sur l’étiquette. D’où l’importance de tisser des liens ténus entre collectifs citoyens, représentants politiques et acteurs économiques...


Plus d’infos :

www.ethique-sur-etiquette.org

www.fashionrevolution.org/europe/france/

www.lagentlefactory.com

www.ateliertuffery.com

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