LE GAPEAU, une vallée en ébullition

Publié le mar 26/09/2017 - 15:58

Dans cette vallée du Var, non loin de Toulon, la transition prend tout son sens et occupe les esprits. Depuis un peu plus d’un an et demi, est né ici un mouvement citoyen qui cherche à changer les choses pour construire ensemble « un avenir concret et positif ». Découverte d’un modèle de société en devenir.

Par Justine Carnec

REPORTAGE

L’OASIS dans la vallée en transition

Une monnaie locale, un projet de supermarché coopératif, des jardins partagés… De la vallée du Gapeau, près de Toulon (83), jaillit une effervescence d’initiatives s’inscrivant dans la transition écologique et solidaire. Parmi elles, il y a Sôllei’o. Autour d’une maison en pierre entourée d’un grand parc, plusieurs dizaines de bénévoles travaillent ensemble à la construction d’une alternative globale.

« Fabriquer un banc », « refaire le mur en pierre », « sourire »… Marqués à la craie sur le tableau noir accroché au mur, ces suggestions de choses à faire jalonnent l’avancement des travaux à Sôllei’o, « oasis » de la transition, selon ses animateurs. Pourtant, pas besoin d’examiner longtemps ces propositions pour constater le travail accompli : en face du tableau se trouve un banc en palettes recouvert d’un tissu fleuri, flanqué de chaises et de deux petites tables de récupération. À l’ombre des murs de pierres, ce salon est frais et accueillant. Il est le fruit récent des efforts communs menés à Sôllei’o, comme beaucoup d’autres choses. Car, depuis qu'un premier « forum ouvert » a été organisé tout près, à Solliès-Toucas (83) en février 2016, les projets bouillonnent dans ce lieu situé au cœur de la vallée du Gapeau.

Installée sur le banc, Isabelle, 50 ans, à l’initiative du projet, nous expose les piliers de Sôllei’o, un lieu baptisé ainsi en référence aux quatre éléments. La maison héritée par Michel, son conjoint, et mise gratuitement à disposition pour le projet, en constitue le cœur. Et c’est autour de cette grande demeure familiale, nichée dans un parc de 3 hectares, que s’articulent les différents aspects de « l’oasis ». Près de l’entrée de la propriété, des toilettes sèches ont été installées. Côté est, un potager en permaculture où poussent courgettes et artichauts. Derrière les haies qui bordent le potager se cache l’ancien poulailler, bientôt rénové. Au sud, les rangées d’oliviers pointent l’emplacement du futur éco-habitat partagé.

L’importance du plaisir

C’est sur ce terrain que, chaque mardi et samedi, 30 à 40 personnes participent aux chantiers participatifs. Il y a beaucoup à faire. Mais Jean-François, qui donne de son temps à Sôllei’o depuis 3 mois, parle de plaisir, non de travail. « La notion de plaisir est essentielle. On peut venir en ayant dans l’idée de faire une table en bois de palettes. En arrivant, on discute et, finalement, on fait une sieste. La conséquence, c’est qu’on fait quelque chose dont on a envie, et on le fait bien. » Isabelle approuve : « L’idée était que chacun puisse venir pour se ressourcer, manger, découvrir le lieu, sans contrainte. On peut ne pas s’investir dans le projet. » Et pour cause : ni directives ni autorité sur les chantiers participatifs, où suggestions, collégialité et intelligence collective sont les maîtres-mots.

Cette liberté laissée aux envies rime avec la possibilité offerte à chacun de se découvrir de nouvelles passions. Chloé, 28 ans, ancienne ingénieure dans le bâtiment durable, s’investit à Sôllei’o depuis février. Séduite par le travail de la terre, elle participe au potager. Elle a ainsi beaucoup appris. « Il y a quatre mois, je ne savais pas faire des semis, et maintenant, j’en fais toutes les semaines », se réjouit-elle.

Un des rêves d’Isabelle, l’intergénérationalité, est également un des principes du lieu. Sur les chantiers participatifs, des personnes de tous âges travaillent ensemble. Pour cette ancienne infirmière, qui voulait que Sôllei’o soit un lieu pour « prendre soin », cet aspect est plein de sens. La contrepartie de cette diversité, ce sont des ambitions et des désirs parfois différents, avec lesquels il faut composer. Évoquant le projet d’éco-habitat partagé, actuellement en discussion, Isabelle regrette que tous les futurs habitants n’en aient pas une vision aussi collective que la sienne. « Certains veulent avoir leur propre salle de bains, voire même une kitchenette », précise-t-elle.

Un mode de vie sans argent

Autre particularité de Sôllei’o : l’argent n’y a apparemment pas sa place. Rien n’assure qu’il en sera toujours ainsi, en particulier pour l’habitat partagé, mais les volontaires ont décidé de voir jusqu’où cela les mènerait. « Les compétences de chacun sont mises à disposition gracieusement, et tout est fait selon le plaisir, le bénévolat et l’échange », précise Isabelle. Henri, animateur en agro-écologie, accompagne le groupe dans l’entretien du potager, et apporte son aide à l’organisation générale du projet. Le « sans argent » n’est pas une nouveauté pour ce nomade de la soixantaine. Il vit depuis 2010 selon les principes de la « sobriété heureuse ». « Un jardin pour se nourrir, un endroit pour s’abriter… On n’a pas besoin de beaucoup plus », affirme-t-il. Et c’est l’idée qui est appliquée à Sôllei’o. Néanmoins, l'endroit s’inscrit dans son territoire, où l'argent est parfois nécessaire. Il est prévu que le système électrique de la maison soit rénové, ce qui engendrera des travaux. Pour cela, le collectif a trouvé un électricien bénévole. Quant aux matériaux, ils seront financés par Michel, le propriétaire des lieux. Un espace pour les dons sera par ailleurs bientôt mis en place sur le blog de l’association.

Une vallée en transition

La dynamique de Sôllei’o et de ceux qui le font vivre pourrait finalement être résumée en trois mots, prononcés par Isabelle : « proposer autre chose ». Comme un autre modèle de société. Un projet enchâssé dans celui, plus global, d'une vallée en pleine effervescence. Une monnaie locale – la Fève –, un futur magasin coopératif – la Cerise sur le Gapeau (cf. encadré) –, la volonté de créer une coopérative d’énergie renouvelable, des jardins partagés… Les cinq communes du territoire regorgent d’initiatives liées à la transition écologique et citoyenne.

 

À l’origine de cette dynamique, on trouve un mouvement, la Vallée du Gapeau en Transition, et un homme, Julien Guimard, organisateur historique de la foire biologique de la Farlède (83). Ce professeur des écoles a provoqué l’étincelle en février 2016, après avoir lu Le pouvoir d’agir, ici et maintenant, ouvrage du Britannique Rob Hopkins, initiateur du Mouvement de la Transition. Tout a commencé autour d’un champ. Au début de l’année 2016, 90 personnes se réunissent pour aider un agriculteur biologique à s’installer. Puis, le 6 mai, un « forum ouvert » sur l’alimentation est organisé. La conclusion de Julien Guimard : « il nous manquait un lieu d’achat pour que nous puissions nous nourrir comme nous le voulions ». C’est de là que part le projet de commerce partagé. Des liens sont tissés avec le réseau des Colibris dans les villes alentours, pour fédérer individus et associations. À partir de là, la Vallée du Gapeau en Transition devient un tremplin pour les projets locaux, qui ne manquent pas. Le 11 juin dernier, l’association fêtait son premier anniversaire, et recensait pas moins de 14 projets et actions distinctes nées de la volonté collective. « Ce qui s’est passé en un an est inimaginable, s’enthousiasme Julien. On a semé l’idée que rien n’est impossible. La seule chose qui compte, c’est l’énergie collective. »


C’est dans la large cour de la maison que s’est tenue la dernière assemblée générale de la Vallée du Gapeau en Transition le 1er juin. © Sollei'o


LA CERISE SUR LE GAPEAU

Aux côtés de l'agriculture, de l'énergie ou encore de l'éducation, « La Vallée du Gapeau en Transition » s'est aussi emparée du sujet de la consommation responsable. Le collectif prépare l'ouverture d'un supermarché coopératif astucieusement baptisé « La Cerise sur le Gapeau ». Encore au stade du groupement d’achat, ce projet se distingue des multiples initiatives de ce type qui fleurissent en France (cf notre dossier dans le N°5 de Sans Transition !) en étant implanté en milieu rural. Le lieu devrait aussi accueillir un café culturel.

Par J.C.

Le principe est connu. Il donne lieu à plusieurs projets dans les grandes villes de France. Des citoyens, désireux de retrouver le contrôle sur ce qu’ils mangent, se rassemblent pour créer un supermarché dont ils seront à la fois les propriétaires, les employés et les clients. Après l’ouverture de la Louve à Paris, des collectifs de citoyens s’organisent dans les métropoles. Mais aussi à la Farlède (83), une ville de moins de 9000 habitants nichée dans la vallée du Gapeau, dans l’arrière-pays toulonnais. En février 2016, l’alimentation apparaît pour les Farlédois comme une question essentielle, marquant la naissance du projet.

« C’était très égoïste, à la base », plaisante Sandrine Sereno, co-présidente de l’association La Cerise sur le Gapeau. « Nous voulions pouvoir faire nos courses sans devoir faire une heure de voiture. L’idée était que des populations qui, d’habitude, n’ont pas accès à des produits bio et locaux car elles ne vivent pas en ville, aient cette possibilité. » Pari tenu, puisque l’association dispose d’un local depuis début juin, et que la troisième commande du groupement d’achat est en préparation.

Mais il n’est pas prévu que la Cerise soit seulement un endroit pour faire ses courses. « Nous avons envie que ce soit notre lieu de vie », précise Sandrine Sereno. Conférences, ateliers et débats sont donc au programme de ce qui deviendra un magasin coopératif et un café culturel. Car le lien est au cœur de l'initiative. « C’est un projet humain avant tout. Même si ça ne devait pas aboutir, les rencontres nous ont apporté énormément ». Une épicerie devrait ouvrir en janvier 2018. Il faudra par contre attendre 2019 pour parcourir les rayons du supermarché.

À lire : notre dossier sur les supermarchés coopératifs dans le n°5 de Sans Transition ! Provence

Plus d'infos : 
www.gapeautransition.org/groupes/groupe-magasins/
www.facebook.com/lacerisesurlegapeau/?ref=br_rs

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