[THEMA] MÉDIATISATION : L’engagement presse !

Publié le ven 14/10/2022 - 12:00

par Quentin Zinzius

Pour que leurs actions soient efficaces, les jeunes comptent massivement sur leur médiatisation. Mais c’est une lame à double tranchant : si une surmédiatisation permet d’inonder le grand public d’informations sur les sujets qui mobilisent la jeunesse, elle noie également d’autres luttes et engagements moins présents dans la presse.

Marches pour le climat, « procès du siècle », grèves étudiantes… Autant d’actions qui mobilisent de plus en plus la jeunesse, et font les choux gras de la presse. Pendant l’été 2022, les actions du seul collectif Dernière Rénovation (issu d’Extinction Rebellion) auront fait la « Une » des quotidiens nationaux plusieurs dizaines1 de fois. Leur recette ? « Provoquer le conflit de façon non-violente jusqu’à créer un drame politique national que personne ne pourrait ignorer ». Blocage du Tour de France, suspension d’un match de Roland Garros… Pour faire parler de lui – et de sa cause – le collectif n’hésite pas à innover. Des méthodes que Florian Tixier, maître de conférences en sciences de l’information à l’Ijba de Bordeaux, et spécialisé sur les questions liées à l’engagement, trouve particulièrement efficaces : « ce type d’actions est avant tout une forme d’auto-conditionnement aux attentes des médias, un moyen de faire la Une et d’attirer le débat, afin d’obtenir une réponse législative ».

Scènes médiatiques

Car pour être médiatisé, « il faut avoir de belles images à proposer, reprend le spécialiste. Au final, l’objet de la mobilisation n’intervient qu’en toile de fond ». Des propos corrélés par David, l’un des activistes impliqué dans Dernière Rénovation : « Nous avons fait une mobilisation devant l’Assemblée nationale en juin, rappelle le jeune homme, mais elle a été beaucoup moins reprise par la presse, alors que l’enjeu politique était le même. » Et pour cause, la mobilisation n’aura causé ni gêne, ni « spectacle ». Quelques semaines plus tard, ces mêmes jeunes armés de banderoles aux couleurs vives feront la Une de 15 médias nationaux et internationaux en restant immobiles face à des hordes de cyclistes et de policiers. « C’est d’ailleurs pour cela qu’un rapport du Giec n’a pas ou peu d’effet médiatique : c’est un rapport froid, technique et barbant, détaille Florian Tixier. Alors que quelques jeunes qui bloquent une route pour défendre exactement les mêmes idées, c’est beaucoup plus spectaculaire ! » Mais une telle importance donnée au spectacle permet-elle de faire réellement avancer les causes défendues ? Pour David, cela ne fait aucun doute. « Pour être efficaces, il faut être visibles ». Un avis partagé par Florian Tixier : « bien que le battage médiatique soit de courte durée et le sujet de fond partiellement évoqué, la médiatisation des luttes leur donne une ampleur et du crédit aux yeux du grand public. » Un traitement qui s’améliore tout de même avec la conscientisation de plus en plus de journalistes sur les sujets concernés, et l’essor des médias spécialisés.

Contre-coup judiciaire

Mais si cette stratégie s’avère efficace pour mettre en avant les luttes et leurs sujets de fond, elle peut également avoir un effet terrible sur la popularité des mouvements. Les gilets jaunes – mouvement social auquel a participé la jeunesse – notamment, en ont fait les frais. Pourtant, sur les 10 000 arrestations ayant eu lieu au cours des premiers mois du mouvement, seules 400 auront mené à une peine d’emprisonnement, selon les informations du journal Le Monde2. « Les débordements ont été largement mis en avant dans les médias, se souvient Florian Tixier, ce qui a eu pour incidence une diabolisation et une décrédibilisation du mouvement ». Une quête du sensationnalisme à laquelle a été confronté Alternatiba, à l’occasion des procès des décrocheurs de portraits. «Dans cet exemple, les jeunes accusés ont très bien utilisé cette surmédiatisation, reprend le spécialiste, en la transformant en tribune politique pour continuer la sensibilisation entamée pendant les actions ». Cécile Marchand, décrocheuse de portrait et porte-parole du mouvement, témoigne : « Une des forces des stratégies non-violentes, c’est de retourner la répression contre son adversaire. S’il n’y avait pas eu ces procès, l’inaction climatique de l’État n’aurait sans doute pas fait autant parler d’elle ».

Les invisibles

Pour autant, et loin de là, ces événements surmédiatisés ne représentent pas l’ensemble des engagements et mobilisations amorcées par les jeunes. Une analyse d’ailleurs formulée par l’Institut Montaigne dans son rapport « Jeunesse plurielle » qui rapporte que « les difficultés des étudiants sont très souvent mises en avant dans les médias, alors que celles des jeunes actifs peu diplômés, sont nettement moins commentées alors que plus intenses ». En cause selon Florian Tixier, « la méconnaissance et le rejet des médias », plus marqués chez des jeunes au plus faible capital social et culturel. « Ces jeunes et leurs luttes sont moins visibles car eux-mêmes n’ont pas la culture des médias. Et sans écho médiatique, la lutte peine à trouver un chemin jusqu’au niveau de décision politique ».

Plus d'infos

Notes de bas de page :

1 – https://derniererenovation.fr/presse/

2 – « Gilets jaunes : 10 000 gardes à vue, 3 100 condamnations… une réponse pénale sans précédent », article paru dans Le Monde, novembre 2019

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