[ SANTÉ ] À la case de santé, on soigne le corps et " la galère au quotidien "

Publié le lun 02/12/2019 - 11:59

Depuis près de 13 ans, la Case santé apporte soins et soutien à l’accès aux droits des personnes les plus démunies de Toulouse, dans une démarche qui se veut globale. Convaincue de son utilité, l’équipe œuvre pour l’ouverture d’une deuxième structure, mais se heurte au manque de financements.

Par Florence Brau

À Toulouse, un centre de santé associatif réunit soignants et travailleurs sociaux dans une démarche de santé globale et participative, au plus près des besoins d’un quartier populaire. Devenue une référence pour les plus démunis, la Case de santé cherche à ouvrir un autre centre. Non sans obstacles.

« Ici, ils sont sur tous les fronts, avec une philosophie incroyable », s'enthousiasme Raja(1), qui consulte depuis peu à la Case de santé. Aux murs de la salle d'attente, l’annonce d’une exposition photo sur les discriminations côtoie celle d’un ciné-débat « humain ou finance, quelle priorité », ou encore des manifestes pour le droit à la santé des étrangers… Pour Fabien Maguin, gestionnaire administratif de ce centre de santé associatif, c’est une évidence : « Nous avons développé un modèle de soins pour ceux qui en sont les plus éloignés, impossible de rester aveugles aux inégalités sociales ».

Depuis 2006, la Case se niche en plein cœur de Toulouse, dans un vieil immeuble à l’étroite façade colorée du quartier Arnaud-Bernard, bien connu pour son atmosphère populaire et son identité marquée par des vagues de migrations successives. Pas de désert médical dans le coin mais « des conditions de vie qui influencent l'état de santé des personnes et leur capacité à accéder aux soins », révèle entre deux rendez-vous Samah Chaaban, médecin généraliste à la Case. Elle l'affirme : « Soigner, ce n'est pas uniquement traiter une maladie ».

Changer la posture du soignant

Voulant travailler en « santé globale », la jeune femme est d’abord bénévole avant de rejoindre définitivement l’équipe salariée de la Case, il y a six ans. Cinq généralistes, deux psychologues, une sage-femme, quatre assistants de service social, autant de médiatrices en santé et d’accueillants, des agents administratifs et financiers, qui gèrent de concert un Pôle de soins de premier recours (le premier contact avec le système de santé) et un Pôle santé-droit qui informe les usagers sur leurs droits et leur apporte une aide administrative et juridique. « Les métiers du sanitaire et du social travaillent main dans la main. Tous les matins, on se réunit autour des dossiers des patients. Si un problème apparaît – isolement, violences, absence de ressources, de logement, de papiers, un collègue peut intervenir immédiatement », explique Jérôme Host. Cet assistant social est présent depuis les débuts de la Case, embarqué « par militantisme » à la suite d’une poignée de jeunes soignants inspirés par le modèle des « centres de santé communautaires » belges et québécois. « Ça veut dire que nous faisons avec les gens plutôt que pour les gens, en cherchant à les rendre autonomes dans la prise en charge de leur santé », précise-t-il. Samah Chaaban complète : « Nous changeons la posture du soignant en remettant nos savoirs entre les mains des patients. À la fac on nous enseigne une approche curative et prescriptive, ici elle est avant tout humaine ». Pas besoin d’ordonnance à rallonge pour ces praticiens « totalement indépendants des lobbies pharmaceutiques », mais « de l’écoute, de la compréhension, des explications ». Au final, « on fait beaucoup de prévention », note Samah. Voilà son patient qui arrive. « On n'est pas près de la revoir », taquine Jérôme. Les consultations peuvent durer trente minutes au moins contre quinze en moyenne pour le paiement à l'acte en médecine libérale.

« Des endroits comme ça, il en faut partout ! »

Retour dans la salle d’attente où nous rencontrons Anastase, une fidèle de la Case depuis 5 ans. « À l'époque j'avais l'AME (aide médicale de l’État -  ndlr), mais ce n'était pas toujours simple de me faire soigner. Ici, ça n'a pas posé de problème », confie-t-elle. « Tous ceux qui poussent la porte sont reçus avec bienveillance et sans jugement », souligne Fabien Maguin. Un accueillant les oriente vers un médecin ou un travailleur social, avec l’appui d’un traducteur si nécessaire. Pour créer une relation de confiance et casser la barrière de la langue, premier frein au recours aux soins. Un accueil inconditionnel qui a fait la réputation de la Case au-delà des frontières d'Arnaud-Bernard, touchant la ville entière. La structure accompagne 3200 personnes, soit deux fois plus qu'en 2014, remettant en question son objectif de proximité et menaçant la qualité de ses services.

Alors, depuis trois ans, l'équipe plaide pour l’ouverture d’autres centres à Toulouse. Un quartier a été ciblé, les Izards, au nord-est de la ville, où les médiatrices ont commencé un diagnostic sanitaire et social avec les habitants. Mais selon Fabien « le soutien des pouvoirs publics piétine ». Avec 85 % d'usagers connaissant de fortes difficultés et plus de la moitié accompagnés par le Pôle santé-droit, « la Case comble un vide dans la gestion des problèmes des pauvres et des situations complexes. D'autres professionnels font appel à son expertise, mais les financements ne suivent pas pour autant », dénonce Jérôme Host, face aux difficultés chroniques du centre. Conventionné avec l’Assurance maladie pour sa partie « soins » (les patients bénéficient du tiers-payant), il reçoit également des subsides de l’agence régionale de santé et, pour une part minime, de la mairie et du conseil départemental. L'assistant social le déplore : « Nous avons encore du mal à faire financer le travail social comme partie intégrante de la santé ». Une réalité que les usagers n'acceptent pas : prenant à partie un autre patient, Raja s'indigne : « Des endroits comme ça, il en faut partout. C'est honteux qu'il n'y ait pas de financement ! »

Du collectif pour aller mieux

Car la Case contribue bel et bien « à renouveler les façons de faire de la santé publique » ; elle pourrait inspirer un « changement social par le bas » en « privilégiant la médiation en santé dans l'accompagnement à l'autonomie des personnes », avance la sociologue toulousaine Nadine Haschar-Noé dans un article sur le sujet(2). Pour preuve, ce cycle d'ateliers participatifs sur les maladies chroniques. Son objectif : que les patients trouvent les réponses les mieux adaptées à leurs modes de vie, à partir du partage de leurs savoirs et expériences, guidés par une médiatrice. D’autres usagers se regroupent également : des femmes pour parler de l'IVG, des personnes souffrant de troubles psychiatriques, des consommateurs de substituts aux drogues, ou encore des chibanis (immigrés maghrébins retraités). « Nous avons créé un environnement favorable à ces rencontres », souligne Jérôme. Telle une salle de 90 m² équipée d'une kitchenette, où l'on peut se poser un moment sur des banquettes douillettes. Ce vendredi après-midi, c'est le collectif pour le droit des étrangers malades qui s'y réunit avec une bonne dizaine de personnes de nationalités diverses. « Comment fait-on pour lutter contre la galère au quotidien ? C'est ce à quoi ils tentent de répondre », observe Faïza Benmerzouka, la médiatrice qui anime la réunion, elle-même ancien membre du groupe. La discussion tourne autour du durcissement de l'obtention des droits. Questions et conseils fusent. Natalia l'Angolaise fait rire tout le monde en racontant que, pour obtenir ses papiers, on lui a demandé le nom du plat préféré des Français. Est-ce que ces réunions les aident ? « Énormément, estiment les participants, unanimes. Parce que c'est trop dur quand on est seul ». Évidemment.

(1)Le prénom a été modifié

 (2)Haschar-Noé N., Basson J-C., 2019, Innovations en santé, dispositifs expérimentaux et changement social. Un renouvellement par le bas de l’action publique locale de santé. La Case de Santé de Toulouse (France), Revue Innovations. Revue d’Economie et de Management de l’Innovation / Innovations. Journal of Innovation Economics and Management, 2019/3,  n°60, p.121-144. D’après les travaux de recherche-évaluation qu’elle coordonne, suite à l’appel d’offre national Accompagnement à l’autonomie en santé dont la Case est lauréate

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