[REPORTAGE] Montpellier contre la pollution lumineuse

Publié le lun 19/07/2021 - 11:32
La fontaine des Trois Grâces (trop) mise en valeur, face à la Comédie de Montpellier. © Thibault Bluy

Par Thibault Bluy

Néfaste pour la biodiversité et la santé humaine mais aussi responsable d’une forte consommation énergétique, la pollution lumineuse est dans le collimateur de Montpellier Métropole. La collectivité montrera l’exemple en réduisant et modernisant son éclairage public, tandis que des associations incitent les commerces à respecter la législation en vigueur.

L’horloge du fronton de l’Opéra-Comédie de Montpellier indique qu’une heure du matin a été dépassée. Pourtant, les lustres en cristal continuent de faire resplendir les arcades et les colonnes corinthiennes de l’étage inférieur alors qu’au rez-de-chaussée, des réverbères éclairent encore le perron, vide depuis des mois à cause des restrictions imposées pour lutter contre la pandémie de Covid-19.

Tout au long de la place de la Comédie, prolongée par l’esplanade Charles-de-Gaulle, de hauts projecteurs et des bataillons de lampadaires restent au garde-à-vous, tous feux sortis. Selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), les maintenir en fonctionnement n’a pourtant aucune incidence sur la criminalité, 80 % des vols et des agressions étant commis le jour.

Éteindre en cœur de nuit cinq axes routiers

Cet état des lieux peut paraître surprenant car une loi de 2010, complétée en 2018, interdit à la plupart de ces luminaires de briller entre 1h et 7h. Une réglementation adoptée après la publication de plusieurs d’études démontrant leur impact néfaste sur la consommation énergétique, la visibilité de la voûte céleste, la biodiversité et la santé humaine. Comment justifier que la législation, prévoyant des contraventions pouvant aller jusqu’à 750€, ne soit toujours pas appliquée ? « Depuis ma prise de fonction, j’ai appris la notion de temporalité politique », justifie Bruno Paternot, élu l’été dernier conseiller à la ville et à la métropole en charge de la qualité de l’environnement visuel.

L’écologiste évoque une « problématique transversale » et affirme que les quatre départements concernés par l’éclairage (de la voie publique, des salles de spectacle, des stades et des musées) « ne se sont jamais rencontrés ». « Nous devons d’abord modifier cette organisation en silo pour aller vers quelque chose de plus concentrique », expose-t-il. Mais la métropole s’est d’ores et déjà fixé l’objectif d’éteindre « en cœur de nuit » cinq grands axes routiers dès septembre 2021, puis trois communes par an d’ici à la fin du mandat.

L’élu indique le calendrier à suivre : il faut que la municipalité montre l’exemple en éteignant le patrimoine historique, puis négocie avec les « gros pollueurs » que sont la SNCF – en particulier avec la nouvelle gare Sud de France –, les universités, les hôpitaux, les entreprises et les copropriétés. Viendra ensuite le tour des petites enseignes du centre-ville qu’il conviendra de « sensibiliser » avant d’envisager d’éventuelles pénalités financières.

Dialoguer avec les commerces

Lors de deux opérations menées nuitamment en février et octobre 2020, la fédération Languedoc-Roussillon de France Nature Environnement a recensé plusieurs centaines d’échoppes qui ne respectaient pas la loi. Ses bénévoles leur ont ensuite rendu visite en journée pour informer les responsables, insistant sur les potentielles économies, sur l’image renvoyée et sur la nécessité d’initier un dialogue entre toutes les parties.

« Beaucoup ne savent même pas que leurs lumières marchent jusqu’au matin », explique Odette Daudé, présidente de l’association des commerces de l’Écusson, qui assure couper ses Led le soir en quittant sa boutique de lingerie. Tout en rappelant la conjoncture désastreuse que les « non-essentiels » doivent endurer depuis plus d’un an, elle recommande à ses adhérent·es de prendre des mesures pour que soient effectués les réglages nécessaires.

Lydie Nemausat, animatrice de FNE LR, assure une « prise de conscience croissante » et la volonté de certaines communes de l’arrière-pays, telle Murviel-lès-Montpellier, d’expérimenter l’extinction partielle de son éclairage public. Parmi les milliers de communes en France à avoir adopté cette mesure, très peu sont revenues en arrière, ce poste représentant 41 % des consommations électriques des collectivités, selon l’Ademe. Lydie Nemausat vante également les vertus de la mise en place de « trames noires », à laquelle réfléchit actuellement l’antenne locale de l’Inrae (Institut national de la recherche agronomique). Ce dispositif prévoit des couloirs exempts de pollution lumineuse, à l’image des trames verte et bleue déjà en place, afin que les espèces nocturnes (30 % des vertébrés et 65 % des invertébrés) puissent circuler d’un réservoir de biodiversité à un autre en évitant les effets barrières des axes routiers ou des ensembles urbains. « Les sources lumineuses artificielles gênent la migration des oiseaux, la reproduction animale, le développement des arbres, la pollinisation des insectes qui meurent en s’agitant inutilement mais aussi le sommeil des humains », énumère la référente régionale.

« Moins, mieux, merveilleux »

« Depuis la tour de la Babote (rescapée des fortifications médiévales de Montpellier) où nous nous réunissons, nous ne pouvons plus observer le ciel profond », se désole Jean-Marie Lopez, président de la Société astronomique de Montpellier, qui pointe depuis de longues années les méfaits de la pollution lumineuse mais se réjouit d’avoir accès à la plus grande réserve internationale de ciel étoilé d’Europe dans les Cévennes voisines.

Alenka Doulain, l’une des cheffes de file de l’opposition, est sceptique sur les « effets d’annonce » de la majorité de Michaël Delafosse, le nouveau maire PS, critiquant son « manque de courage politique » sur les questions écologiques, notamment concernant le sujet connexe de l’affichage publicitaire. « On est surchargés de messages de surconsommation », tempête la porte-parole du mouvement NousSommes.

Mais Bruno Paternot demande à être évalué à l’issue de son mandat. S’inspirant de mesures prises à La Rochelle – qui a réussi à éteindre les lampadaires de minuit à 5h sur 70 % de son territoire, ne les conservant qu’en front de mer et dans les quartiers prioritaires –, il résume sa feuille de route en déclinant l’acronyme de Montpellier 3M en « moins, mieux, merveilleux ». Selon lui, la moitié des équipements ont d’ores et déjà été changés et leur remplacement se poursuivra « quoi qu’il en coûte ». Des tests sont en cours à Saint-Jean-de-Védas et à Prades-le-Lez pour apprécier l’efficacité, respectivement, de détecteurs de présence et d’une couleur ambrée moins agressive.

« À Montpellier, nous avons la chance incroyable de pouvoir bénéficier de l’expertise du CNRS, de l’Inrae ou du Cirad (centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement)… C’est pour cela que nous voulons être une ville motrice de l’innovation dans ce domaine », claironne l’élu. La collectivité souhaite ainsi créer des pistes cyclables « électroluminescentes » ainsi qu’une application permettant de déclencher soi-même l’illumination « qualitative » d’un monument durant quelques minutes.

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