[REPORTAGE] À Villeurbanne, le BTP se lance dans le réemploi

Publié le mar 28/12/2021 - 11:00
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Par Marie Albessard

À Villeurbanne, près de Lyon, l’association Minéka veut faciliter le réemploi de matériaux dans le BTP grâce à ses actions de collecte et revente, conseils sur le réemploi et sourcing de matériaux de seconde main. Dans un secteur très polluant et normé, le réemploi se développe en France mais nécessite une acculturation des professionnels.

C’est un hangar, au fond d’une cour à Villeurbanne. À l’intérieur, de quoi ravir les plus bricoleurs : des stocks de carrelage, de bois brut, des portes, éviers, tuiles, pots de peinture et autres boulons. Le tout, à prix compétitif : jusqu’à -70 % du prix du neuf. « Le prix est fixé selon l’état du matériau, sa rareté, sa valeur, s’il a déjà servi ou non… » précise Joanne Boachon. Cette ancienne architecte a créé l’association Minéka en 2016 pour démocratiser le réemploi de matériaux dans le secteur du bâtiment. « Très peu de personnes s’attaquaient à la question, alors que beaucoup de choses peuvent être détournées de la benne » expose-t-elle. Car le secteur du BTP est particulièrement pourvoyeur de déchets, avec 224 millions de tonnes de déchets produits dont 46 millions pour le bâtiment (Ademe). Ce dernier secteur réemploie environ 1 % des produits et matériaux de construction.

Minéka identifie et collecte auprès des entreprises, qui la rémunèrent, des matériaux réutilisables, surplus de stock, erreurs de commande, chutes de production… sur les chantiers et dans les entreprises. Ceux-ci sont ensuite revendus dans leur « minéstock » aux professionnels et aux particuliers, à prix solidaires. « Le contreplaqué et le bois massif sont particulièrement demandés » indique Benoît Authier, animateur du stock. En 5 ans, l’association a récolté 250 tonnes de matériaux, sélectionnés pour leur potentiel de réemploi. Bois brut, faïence, carreaux, parquet et isolation font partie des « best sellers ». Les dalles de faux plafond ou les bidets ne sont, eux, plus récupérés du fait de leur désuétude ou de leur manque de potentiel.

Du conseil au réemploi

Artisans, designers, collectifs d’architectes - entre autres - y voient un intérêt écologique notable, à défaut d’un intérêt économique : un coût supplémentaire du fait de la prestation intellectuelle (réalisation d’un diagnostic des ressources ré-exploitables, travail d’adaptation pour intégrer ces matériaux à un chantier, etc) rend souvent le réemploi plus coûteux. Julie Teulé est architecte d’intérieur et bénévole à Minéka : « J’ai une clientèle de particuliers sensibles à l’environnement. Actuellement, je travaille sur deux maisons où j’ai intégré du carrelage, de la menuiserie, des portes, des sanitaires, du parquet, des garde-corps… de seconde main. Il y a un intérêt écologique évident et le réemploi permet d’intégrer des éléments qui ont une histoire. Ce n’est pas forcément moins cher, sauf sur certains éléments comme le carrelage neuf, les sols, éviers, où il peut être très avantageux. » Minéka s’adresse à tous les acteurs du BTP : maîtres d’ouvrage, architectes, bureaux d’environnement, de structure, déconstructeurs… L’association propose de les accompagner à intégrer du réemploi sur leurs chantiers. Un conseil qui a permis aux entreprises de détourner « environ 3 500 tonnes de matériaux de la benne » en 5 ans, précise Joanne Boachon. Le sourcing des matériaux à intégrer et leur fiabilisation pour qu’ils puissent être utilisés sur le chantier avec les assureurs et bureaux de contrôle font aussi partie de l’accompagnement proposé. Des prestations qui se veulent facilitatrices pour le réemploi et qui participent à lever les freins des professionnels. « Il y a des freins culturels car il faut changer sa manière de faire », indique Joanne Boachon« Outre la disponibilité, l’accessibilité de la ressource et leur stockage, l’un des principaux freins au réemploi est le manque de formation des professionnels. Car pour intégrer du réemploi, il faut réinterroger tout le projet, ce n’est pas encore dans les mœurs… » pointe Claire Vilasi, chargée de mission chez Ville et aménagement durable, un réseau regroupant des professionnels de la construction et de l’aménagement durable. Depuis 2019, VAD a d’ailleurs initié une action collective avec 70 professionnels du bâtiment (bureaux d’étude, architectes, maîtres d’ouvrage etc) pour les acculturer au réemploi, les y former.

Car le réemploi est, bon gré mal gré, un sujet qui prend de l’ampleur chez les professionnels de l’Hexagone, y compris les grosses structures. « L’ambiance globale pousse les professionnels à aller vers le réemploi », résume ainsi William Lafond, chef de projet aménagement du chantier L’Autre soie (lire ci-contre). Comprendre : la législation se fait de plus en plus pressante, avec notamment la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire et la Directive Cadre Européenne qui impose un quota de réemploi, recyclage et valorisation des déchets du BTP. Au 1er janvier 2021, tout chantier de plus de 1000 m² devra faire l’objet d’un diagnostic « Produits, matériaux, déchets » pour privilégier la valorisation. Et Claire Vilasi identifie la nouvelle réglementation environnementale 2020 sur la construction neuve* comme une « révolution culturelle » car obligeant à une analyse du cycle de vie de chaque matériau d’un bâtiment. « Si on intègre un élément de réemploi, on considère qu’il a un impact égal à zéro dans l’analyse du cycle de vie. Mine de rien, ça va être une sacrée révolution ! Cela va entraîner une acculturation énorme sur le sujet environnemental, précise-t-elle. On va vers l’intégration massive du réemploi ». Bien sûr, le développement du nombre de professionnels du réemploi, des plateformes de ressources, des espaces de stockage doit se poursuivre partout en France pour répondre à la demande. Mais le mouvement est enclenché, comme en témoignent les demandes croissantes reçues par Minéka et les quantités exponentielles de matériaux que l’association récupère (la collecte a triplé la dernière année). Partout en France, la pratique s’impose dans les commandes publiques et la livraison de gros chantiers conçus avec beaucoup de réemploi (à l’image de L’Autre soie) devrait contribuer à montrer la voie. Alors, va-t-on vers un changement de paradigme dans la conception des bâtiments ? « La pénurie des ressources en cours peut être un électrochoc, estime Claire Vilasi. On bascule vers un changement culturel : à l’avenir, il faudra de fait composer avec l’existant. »

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*en application au 1er janvier 2021

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