[REPORTAGE] En Ardèche, Drôme et Rhône, six projets de restauration coopérative

Publié le lun 12/07/2021 - 09:54
Marco Della Corte et Tiffany Aillaud, à l'origine de Magma Terra, un bar-restaurant qui fera la part belle aux produits et bières locales au centre de Romans-sur-Isère. Crédit : Elodie Horn.

Par Elodie Horn

En Ardèche, Drôme et Rhône, des restaurants et des bars à bière fonctionnent en mode coopératif, en valorisant les circuits courts. Le premier projet, né il y a dix ans à Lyon, a essaimé et six Scop sont aujourd’hui réunies au sein de la Scic le Grenade.

Il y a dix ans, un groupe d'étudiants tout juste diplômés faisait le pari fou d'ouvrir un bar-restaurant dans le 7e arrondissement de Lyon : le Court-Circuit. A cette époque, le quartier était peu couru. « On nous disait que c'était fou d'installer un bar à cet endroit », se remémore Marco Della Corte, l'un des fondateurs du lieu. Une idée pas si insensée puisqu'une décennie plus tard, il est le premier restaurant implanté dans ce qui est devenu depuis le quartier des bars. Le Court-Circuit se démarque toujours, notamment par son modèle alternatif : une équipe en auto-gestion sous le statut de société coopérative et participative (Scop), mais aussi des plats préparés avec des produits et des boissons privilégiant les circuits courts. Des ingrédients qui vont lui permettre de prospérer, de garder un noyau d'équipe soudé et de devenir un exemple de réussite dans un secteur concurrentiel.

Un modèle dupliqué avec succès

Après l'implantation du Court-circuit, une partie de l'équipe décide de se détacher du projet afin de lui créer un successeur dans la commune voisine. A Villeurbanne, ville limitrophe de Lyon, le Bieristan a adopté à son tour les mêmes piliers, à une différence près : l'entité fera la part belle aux bières locales. Les deux bars en Scop ont aussi pris le parti de rémunérer une heure de temps par semaine à chaque salarié·e pour réfléchir à leur fonctionnement. Ils ont ainsi pu développer une véritable expertise sur l'autogestion et la coopération. Notant la demande grandissante pour parler de leur modèle, ils ont décidé de créer une structure dédiée : le Grenade. « Aujourd'hui, le Grenade se compose de 60 associé·es avec pas moins de quatre nouveaux projets que nous développons et portons. La nouveauté est que nous sortons désormais de Lyon. Nous en avons par exemple deux à Romans-sur-Isère, l'une des principales villes de la Drôme », précise Marco Della Corte, qui s’est installé avec Tiffany Aillaud dans ce département situé au sud du Rhône pour y lancer un nouveau projet.

Un restaurant en Scop prévu à l'automne

Ville drômoise de 33 000 âmes, Romans-sur-Isère a été durement touchée par le chômage et la précarité après que sa principale industrie, la fabrication de chaussures, ait été délocalisée. La municipalité tente, depuis, de redynamiser son cœur de ville qui souffre de désertion commerciale. Début 2019, elle a lancé un appel à projet pour la reprise du bail d'un ancien primeur avec un projet de restauration. « Tiffany était passée un an auparavant devant ce lieu et m'en avait parlé, trouvant l'emplacement idéal, se souvient Marco, salarié du Grenade. Nous avons répondu à l'appel à projet au premier semestre 2019 en proposant un restaurant en Scop, dans le cadre du Grenade. Cela nous a sans doute permis de les rassurer sur la crédibilité du porteur et de faire la différence. » L’ouverture de Magma Terra, le nouveau bar-restaurant à base de produits locaux et de cuisine maison qu’ils imaginent, est prévue à la rentrée prochaine. Leur projet est de proposer une petite restauration à toute heure de la journée afin de s'adapter aussi bien aux horaires des employé·es qu'aux touristes de passage.

Monter une brasserie en zone rurale

Trois autres projets sont en développement, accompagnés par le Grenade qui pèse maintenant près de quatre millions d'euros de chiffres d'affaires : l’auberge la Goupille à Boffres (Ardèche), un atelier de conseil en aménagement d'intérieur à Romans-sur-Isère et la Machine, une autre brasserie artisanale dans la Drôme, à une trentaine de kilomètres de Romans.

En lieu et place d'une ancienne scierie, la Machine, une brasserie artisanale se détache au pied du Vercors, à Saint-Laurent-en-Royans, commune de 1400 habitants. Ouverte en janvier 2020, elle a dû faire face à des délais plus longs pour sa conception, coronavirus oblige. Rami Dahdah et Sylvain Billet n’étaient pas peu fiers d'enfin pouvoir commencer le brassage de leur bière à la fin du mois d'octobre 2020. « J'ai fait de nombreux stages dans différentes brasseries avant de choisir ce territoire où j'ai eu envie de créer mon propre établissement », raconte Rami Dahdah, ancien salarié du Court-Circuit et cofondateur du Bieristan. Contrairement aux autres établissements du réseau, la Machine ne comprendra pas forcément de restauration. « Dans un premier temps, nous ne ferons que du fût et un lieu de vente au détail et en vrac, poursuit-il. A terme, j'imagine aussi la Machine comme un lieu d’échanges, convivial, une forme de halle. »

Souhaitant faire évoluer l'image du brasseur, il compte bien partager les tâches avec Sylvain Billet, l'autre cofondateur de la SCOP afin de toujours faire tourner la Machine en cas d'absence. Le travail en réseau permettra de distribuer la bière brassée à la Machine dans les autres lieux qui composent le Grenade.

Financer des projets en dehors du capitalisme

L’envie des sociétaires du Grenade n'est pas uniquement de monter de nouveaux projets mais d'inventer une façon de travailler différemment. Pour passer à la vitesse supérieure, la société coopérative d'intérêt collectif (Scic) a organisé une levée de fonds en pleine crise du covid. « Nous avons réussi à réunir plus de 100 000 € grâce à 47 souscriptions, poursuit Marco Della Corte. Il s'agit de titres participatifs : une façon de placer son argent sans faire de spéculation ni perdre sa mise, mais en profitant d'une réduction d'impôts de 18 %. Nous avons aussi touché des personnes avec plus de moyens qui ont décidé de placer leur argent chez nous plutôt qu'en bourse, en ces temps de crise. Ce sont en général des gens qui nous connaissent et qui croient en nos projets. » Une soupape qui permet d'accompagner de nouveaux projets dans le secteur de la restauration, touché de plein fouet par la pandémie, en restant plus serein.

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Des formations tout au long de l'année

Pour continuer d'essaimer ce modèle de fonctionnement alternatif, le Grenade propose depuis 2018 des formations tout au long de l'année, à Lyon et Villeurbanne. Au programme : autogestion, gestion économique, comptabilité ou, plus original : adopter l'alimentation de la transition. Grâce à leur expérience, les salarié·s du groupement possèdent une véritable expertise sur ces sujets et dispensent par binômes des formations d’un à deux jours. Des formations sur-mesure peuvent aussi être organisées.

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