[REPORTAGE] Sur le littoral atlantique, les bénévoles dressent l'inventaire des déchets

Publié le jeu 23/12/2021 - 11:00
© Pexels

Par Thibaut Schepman

Sur le littoral atlantique, des bénévoles passent des heures à ramasser les déchets, voire à les compter, les répertorier. Certains sont devenus de véritables enquêteurs des plages. Ensemble, ils produisent un savoir participatif et offrent une meilleure connaissance de l'immense problème qu'il reste à résoudre.

Bruno se souvient avoir partagé sur Facebook une photo de grands disques de plastique noir qu’il trouvait régulièrement près de chez lui. Un membre du réseau l’a aidé à les identifier : il s’agissait de dispositifs utilisés en mytiliculture(1). Fin septembre, il nous a montré sur une plage vendéenne une petite capsule en plastique translucide : « J’ai appris qu’il s’agissait de la partie plastique des cartouches de fusil de chasse. À chaque balle tirée, un plastique comme celui-là est relâché. On en retrouve partout ». C’est pour référencer et cartographier ces connaissances que Lionel Lucas, basé à Concarneau, a créé en 2018 la plateforme participative Ocean Plastic Tracker. Il détaille sa démarche : « Je ramasse les déchets depuis plus de vingt ans. À force, je les reconnais. Beaucoup de bénévoles sont comme moi. Ils ne se contentent pas de ramasser, ils apprennent à les lire, à reconstituer un puzzle. Notre réseau cherche des réponses à la question : pourquoi trouve-t-on des déchets dans la nature ?»

L’idée de la plateforme est simple : à chaque fois qu’un bénévole ramasse un déchet identifié, il peut partager sa géolocalisation et sa photo. L’ensemble des contributions donnent à l’échelle du littoral atlantique une quantification et même parfois dévoile l’origine de certains déchets récurrents. Ainsi, on a pu comprendre que des déchets retrouvés sur les plages de Normandie et de la Côte d’Opale viennent d’une ancienne décharge côtière proche du Havre. Ou retrouver un conteneur coincé dans des rochers d’où s’échappait depuis trente ans des téléphones factices pour enfants. L’étape d’après serait de faire réagir et évoluer les responsables des pollutions. Ce n'est pas encore le cas, faute de temps et de moyens, reconnaît Lionel Lucas : « On a déjà beaucoup de travail. On produit un savoir qui est aujourd’hui une référence, notamment sur la question des pertes de conteneurs. Cela donne un poids à notre message. Mais avec la Covid, beaucoup d'initiatives ont été mises à l’arrêt, des choses ont changé et on s’interroge sur la façon dont on va pouvoir relancer nos travaux.» 

Des trouvailles qui se recoupent

Des sacs à dos, des centaines de cartouches d’imprimantes, des milliers de chaussons d’hôtels et bien plus encore de sucettes ou de seringues sans aiguille. Depuis la fin des années 2000 au moins, on fait d'étranges trouvailles sur le littoral atlantique. La faute à de nombreux porte-conteneurs, de plus en plus nombreux et volumineux, qui ont perdu leurs cargaisons en mer au cours de violentes tempêtes.

Installé en Vendée, Bruno Mottais fait partie des bénévoles ramasseurs de déchets connectés. Ce surfeur a commencé à faire des ramassages en 2010 après avoir été « frappé par les accumulations de plastiques » . Il s’y est mis à fond, au point d’organiser des actions avec des bénévoles du coin. Et même d’inventer un système ingénieux : le « seau plage propre ». Un simple seau portant des instructions simples, mis à disposition des passants pour qu’ils profitent de leur balade à la plage pour ramasser des déchets. Avant de jeter leur collecte et de remettre le seau à sa place. Pour lui aussi, partager ses expériences est crucial : « Dans le réseau, certains bénévoles ramassent sur tout le littoral, du Portugal jusqu’à l’Irlande. On s'aperçoit qu'on trouve un grand nombre de déchets identiques, et pas juste des restes de pique-nique ! C’est plus complexe, c'est le fruit de notre consommation, de la mondialisation. Cela donne envie d’aller plus loin, on se rend compte qu’on peut comprendre et quantifier le problème.» 

Bruno Mottais

Bruno Mottais, ramasseur de déchets connectés. Ce surfeur a commencé à faire des ramassages en 2010 après avoir été « frappé par les accumulations de plastiques ». © Thibaut Schepman

Parmi eux, Maxime Huguet, 28 ans, qui vit près de la Baule. En 2014, ce dernier a commencé à traquer ces déchets insolites lors de ses marches au bord de l’eau : « Au départ, c’était comme une chasse au trésor. Et puis à force de voir tous ces déchets, je me suis dit qu'il fallait faire quelque-chose». Il s’est mis alors à ramasser quasi quotidiennement à certaines périodes de l’année. En collectant ainsi des pertes de conteneurs mais aussi des bouteilles, bouchons, filets de pêches, emballages et tout un tas de petits objets manufacturés souvent difficiles à identifier.

Un emballage vieux d'un demi-siècle

Très vite, il partage ses actions : « Il fallait utiliser les réseaux sociaux pour sensibiliser à la problématique de ces déchets. J’ai donc tenu un compte très précis de mes glanages. Je partageais des photos en précisant la plage, le jour, le nombre de kilos ramassés. En sept ans, j’en ai comptabilisé plus de 600 kilos !» La quantité choque, la nature des déchets interpelle également. Le ramasseur a ainsi suscité beaucoup de réactions en dévoilant la photo d’un emballage de jambon dont le logo montre qu’il a été commercialisé entre 1960 et 1968.

Comme Maxime, de nombreuses personnes ont cherché ces dernières années à mettre en commun leurs connaissances, donnant peu à peu naissance à un réseau de collecteurs assez informel mais très connecté. Sur des groupes privés, notamment une page Facebook appelée Réseau d'observation d'échouage de déchets en Atlantique, des dizaines de ramasseurs publient chaque jour leurs trouvailles et leurs interrogations. L’entraide est très forte et permet de faire émerger un véritable savoir scientifique. 

Savoir lire les déchets

Depuis l’épidémie, la plupart des associations organisant des ramassages groupés ont stoppé leurs activités. À l’inverse, beaucoup de particuliers se sont lancés de façon indépendante dans les ramassages. Ce qui rend le suivi des déchets beaucoup moins aisé. Spécialiste des déchets sauvages et président de l’association normande SOS Mal de Seine, Laurent Colasse confirme cette évolution : «  Dans certains endroits comme en Bretagne, il y a  tellement de gens qui ramassent seuls dans leur coin qu'on éprouve du mal à évaluer la quantité de déchets évacués.»  Mais le militant se réjouit de voir que d’autres formes de décompte sont possibles  : « Sur beaucoup de plages, on peut savoir avec précision la masse de déchets que les bénévoles sortent des plages grâce aux bacs à marée qui sont installés ». Plusieurs centaines de ces grands bacs en bois ouverts équipés de panneaux d’informations sont suivis par le cabinet TEO, installé à La Rochelle, qui a lancé une cartographie participative en ligne. Et réalise également un travail statistique : on sait ainsi qu’environ 1000 m3 par bac(2) – soit 65 tonnes - ont été ramassées sur les plages de Charente-Maritime lors des 3 premières années d’expérimentation. Face à l'ampleur du problème, les bénévoles n'ont pas fini d'arpenter les plages.

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Notes :

1) élevage de mollusques

2) 64 bacs au total

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