Rennes - Une économie au service de leur quartier

Publié le mar 25/09/2018 - 15:27

 

par Virginie Jourdan

Une association d’entraide et un projet d’auto-école : voilà deux exemples de créations qui, dans le quartier populaire du Blosne, à Rennes, permettent de faire vivre l’économie locale. Parce que l’innovation n’est pas l’apanage des centres-villes et des zones industrielles.

Sous le toit d’un petit centre commercial construit dans les années 1960 dans le Blosne, quartier populaire situé au sud de Rennes, les perceuses, visseuses et ponceuses vibrent et sonnent. Ce matin, François, Thierry, Murielle et Fanny sont venus prêter main-forte à l’association qui a investi son nouveau local il y a un an : le P’tit Blosneur. Cette conciergerie d’un nouveau genre est à la fois un lieu ouvert aux habitants et un espace de mise en relation pour de menus services. Tous les quatre adhèrent à la structure et vivent dans le quartier.

Porté par Claire-Agnès Froment, habitante du Blosne et seule salariée de l’association, le projet est né en 2015, avant de prendre définitivement forme début 2017. En cette chaude journée d’été, le programme est calé. « Nous allons refaire la cabane à dons qui est installée à l’extérieur, monter de nouvelles caisses pour ceux qui viennent déposer des livres et faire un paravent décoratif sur l’une des façades », détaille Fanny, une jeune femme qui s’investit bénévolement dans le projet. Ce matin, pour avancer, les uns forment les autres. Fanny s’essaie à la découpe puis au ponçage. Thierry pose les structures du paravent sous le regard de Loïc. Un échange de compétences et une entraide à l’image du projet de conciergerie.

Un service pour créer du lien social

Près de 160 personnes adhèrent au P’tit Blosneur. En plus d’être un lieu de rencontres, la conciergerie est un réseau. Tous les jours, Claire-Agnès Froment met en relation ceux qui ont un besoin de services ponctuels avec ceux qui détiennent les compétences requises au sein du quartier. « Il peut s’agir de couper une haie, prêter un siège auto, trouver des pinces pour démarrer sa voiture en panne, ou bien une séance de repassage exceptionnelle », détaille Claire-Agnès, avant de préciser qu’elle veille à ne « pas entrer en concurrence avec les professionnels ». Si besoin, elle aiguille d’ailleurs les habitants vers les solutions classiques. « J’ai récemment orienté une dame vers une femme de ménage du quartier », explique-t-elle.

Autre ambition ? Créer du lien social dans le Blosne. Chaque mois, des repas partagés sont organisés à proximité du local avec des invendus des marchés. Et, tous les midis, les portes sont grandes ouvertes pour les voisins ou les personnes de passage. On peut alors y boire un café ou manger son repas, acheté à proximité ou préparé dans sa cuisine. Des cours de jardinage sont aussi assurés et des ateliers de ramassage de déchets ont déjà été animés avec des enfants des centres de loisirs voisins.

Le P’tit Blosneur crée du lien entre les habitants et répond aux objectifs de la politique de la ville en matière d’action citoyenne © V. Jourdan

Un modèle économique à conforter

Comme toute activité hybride et nouvelle, Claire-Agnès Froment cherche encore ses marques. Le modèle économique du P’tit Blosneur n’est pas figé mais, pour l’heure, son statut demeure associatif. « Au départ, nous voulions rémunérer les personnes pour leurs services. Mais nous devions nous rapprocher de l’insertion. C’était trop gros. Nous avons aussi songé à la gratuité totale. Finalement, nous avons tranché en instaurant un prix libre d’au moins 3 € par service demandé », explique-t-elle. Côté embauche, elle veut assurer le maintien de son poste avant de songer à créer un deuxième emploi, car la suppression des contrats aidés, actée moins de six mois après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, a été un coup dur pour son budget. Si son conseil d’administration planche sur de nouvelles recettes financières, cette ancienne responsable de recrutement a déjà le soutien des collectivités. Sa petite association bénéficie en effet des crédits réservés aux quartiers prioritaires et aux démarches qui soutiennent le lien social et la citoyenneté.

En plus de proposer aux habitants de présenter leurs compétences dans le local, la conciergerie le P’tit Blosneur propose des ateliers de jardinage pour produire son basilic, persil et autres plantes aromatiques © V. Jourdan

Un quartier à faire vivre

Urbanisé à la fin des années 1960 lors des grandes opérations d’extension urbaine de la ville, le Blosne est l’un des cinq quartiers prioritaires de Rennes. Le logement social y est plus concentré qu’ailleurs : 52,4 % des habitations sont concernées, contre 30 % pour l’ensemble de la ville. Autre particularité : seul un habitant sur cinq y est âgé de 16 à 29 ans. Moins nombreuse, la jeunesse y est aussi moins intégrée aux formations et au marché de l’emploi : en 2013, c’est dans ce quartier que les jeunes de 16 à 29 ans étaient les plus nombreux à être sans emploi, sans stage ou sans formation (26 % contre 11 % dans l’ensemble de la métropole rennaise). Bien que pourvu en associations et riche en main-d’œuvre, le quartier manque aussi de certains services.

Les transports en commun sont nombreux au Blosne. Mais la voiture reste une obligation lors d’une recherche d’emploi, et une seule école de conduite est installée au nord du quartier. « En écoutant les gens, j’ai compris qu’il y avait ce besoin », explique ainsi Marguerite Kouakou, ancienne habitante du Blosne, qui a déménagé dans une commune limitrophe, il y a moins d’un an. Elle a donc choisi de relever elle-même le défi : elle s’est formée, a entamé les démarches administratives et a acheté une voiture adaptée. Reste à trouver le local qui lui permettra de décrocher l’agrément final d’ouverture de son auto-école. Parmi ses pistes, le centre d’affaires de quartier (CAQ). Situé au rez-de-chaussée d’une tour qui longe la place du marché et du métro, ce centre associatif animé par une coopérative d’emploi est le second à voir le jour à Rennes, après qu’un premier a été créé à Villejean, en 2011. Depuis un an, il accueille des entrepreneurs qui testent leurs activités et bénéficient de locaux mutualisés. Ils y définissent aussi collectivement leurs besoins en formation.

Si Marguerite intègre le lieu, elle rejoindra un tatoueur, une coach du travail, une psychologue et une infirmière spécialisée dans les relations parents-enfants. « Contrairement à une pépinière, le CAQ concentre des profils et des activités très variés », explique Elise Piotte, animatrice du lieu, avant de poursuivre : «  Chaque activité est un nouveau service pour les habitants du quartier. » D’ici deux ans, le Blosne accueillera également la maison de l’économie sociale et solidaire. Un atout de plus pour innover dans la manière de conjuguer activité économique, ancrage territorial et lien social.

 


Innovations sociales à tout va

Un restaurant participatif qui redistribue ses bénéfices à des associations ou entreprises de quartier, un traiteur éphémère qui remet en selle quinze personnes éloignées de l’emploi, une coopérative d’emplois destinée à la jeunesse : loin d’être réservées aux entreprises high-tech, les innovations se multiplient aussi dans les quartiers populaires. Et elles s’y enracinent. Depuis 2014, des coopératives jeunesse de services ont ainsi vu le jour dans plusieurs quartiers populaires de Rennes, dont le Blosne. Calquées sur le modèle québécois, ces petites entreprises permettent à des habitants âgés de 16 à 18 ans de créer leur propre boulot pendant l’été et d’être rémunérés. Il y a quatre ans, la première session a embarqué dix-sept jeunes qui ont effectué du jardinage, gardiennage et autres services auprès de particuliers, mais aussi d’entreprises. Cet été, une quinzaine de jeunes ont utilisé la coopérative du Blosne pour porter leur job d’été. Le modèle a inspiré trois nouvelles initiatives dans le département aux alentours de Vitré, Bain-de-Bretagne et Montfort-sur-Meu. Deux autres devraient être créées à proximité de Rennes à l’été 2019. L’année dernière, une centaine de jeunes ont participé à l’une des douze coopératives jeunesse en Bretagne.

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