Vallée du Léguer : une reconquête au long cours

Publié le lun 07/05/2018 - 14:20

La rivière des Côtes d’Armor est emblématique de la reconquête de la qualité de l’eau en Bretagne. Déformée par l’activité humaine, maintes fois polluée par l’industrie, une partie du Léguer vient d’être labellisée « Rivière sauvage ». Cette distinction couronne vingt ans d’efforts pour lui rendre un cours aussi naturel que possible. Mais ne la protège pas des risques nouveaux qui planent sur son lit.


Par Virginie Jourdan

En janvier dernier, un second plan de lutte contre les marées vertes a été officialisé à Rennes. Au total, huit baies bretonnes sont concernées, dont la baie de Lieue de Grève, située à une quinzaine de kilomètres de côte de Lannion. En ligne de mire : réduire les excédents d’azote issus des élevages hors-sols et intensifs et qui se retrouvent sous forme de nitrates dans les cours d’eau. Et le chemin s’annonce encore long. Vingt ans après les premiers plans « Bretagne Eau pure », seules 37 % des rivières bretonnes ont retrouvé une qualité d’eau satisfaisante. Pour les autres, les pollutions restent nombreuses. Notamment celles aux nitrates qui atteignent toujours 33 mg/ litre en moyenne annuelle, quand le bon état écologique sur ce critère se situe à 25.

UNE BATAILLE DE PLUS DE VINGT ANS

Sur le terrain, certains engagements commencent pourtant à porter leurs fruits. En octobre dernier, la rivière du Léguer, qui prend naissance dans les tourbières du Trégor costarmoricain et se jette dans la baie de Lannion, a ainsi obtenu le Label « site rivières sauvages » porté par l’association European rivers network, proche du WWF. Les critères de ce label ? Lit naturel, présence d’espèces remarquables, bon état écologique des eaux : le pari a été remporté sur les trente premiers kilomètres du Léguer, entre sa source et Trégrom.

« En 2007, nous avons constaté que le Léguer avait un équilibre proche d’un état naturel. Il avait atteint un bon état des eaux sur les nitrates, le phosphore et l’ammoniac. Ses critères de vie biologiques comme les poissons, les larves d’insectes ou les micro-algues étaient aussi intéressants. Nous l’avons encouragé à aller plus loin », relate Pierre Prodhomme, de l’Agence de l’eau Loire- Bretagne. Le Léguer est la douzième rivière française à porter ce label. Aujourd’hui encore, certains paysages rappellent l’étendue de cette reconquête rare. À Kernansquillec, à quelques kilomètres de Belle-Isle-en-Terre, au coeur d’un antre forestier, la rivière a repris sa forme, sa profondeur naturelle et son lit d’origine. Ici, il y a 20 ans, un barrage hydroélectrique d’une quinzaine de mètres de hauteur coupait le Léguer en deux. Une partie de la vallée était noyée sous une dizaine de mètres d’eau. En 1996, il a été démantelé. Une première en France. Désormais, une simple passerelle de bois et métal enjambe le cours d’eau à cet endroit. En contrebas, les prairies ont repoussé. Elles sont entretenues par un troupeau d’alpagas élevés en agriculture biologique. « Les élus locaux veulent que les activités qui bordent la rivière soient les plus écolo possibles », souligne Samuel Jouon, coordinateur du bassin versant de la vallée du Léguer, une des deux structures qui a porté le projet de labellisation.

POLLUTIONS INDUSTRIELLES À RÉPÉTITION


En aval de Belle-Isle-en-Terre, le site de l’ex-papeterie Vallée a été le dernier à voir un canal qui asséchait le Léguer disparaître en 2017. ©V. Jourdan

Spectaculaire, l’arasement du barrage n’est qu’un des volets du dossier qui mobilise élus et citoyens locaux depuis presque 50 ans. Et à admirer le débit vif et l’eau translucide, le promeneur ne se doute pas que le Léguer revient de loin. Jusque dans les années 2000, la rivière subit aussi des rejets d’eaux usées de piscicultures peu scrupuleuses. En parallèle, des pollutions à l’ammoniac déferlent depuis le Guic, son affluent principal. À l’époque, elles proviennent des abattoirs de poulets Tilly-Sabco, basés à Gerlesquin. « Nous avons vu le Guic devenir jaune fluo et les poissons y flotter, morts. Le dernier accident dont je me souviens date de 2005 », témoigne Jean-Yves Le Corre, élu à Plufur et président du syndicat local qui fournit de l’eau potable à une vingtaine de communes. Dernier risque avéré : l’augmentation des nitrates dans les années 1990. Une pollution bien connue en Bretagne qui résulte principalement des fuites d’azote minéral ou naturel liés aux engrais et aux déjections animales. « La moyenne annuelle dépassait dangereusement les 35 mg par litre d’eau (la limite réglementaire est fixée à 50 mg/l). Il y avait un risque réel pour l’eau potable »,explique Jean-Yves Le Corre. Dès 1997, des actions démarrent avec les agriculteurs locaux sous l’égide du comité de bassin versant et la dernière pisciculture polluante est rachetée par un syndicat mixte d’eau potable en 2004. Depuis 2007, les efforts ont porté leurs fruits. Les taux de nitrate ont été ramenés en deçà de 25 mg/l de moyenne annuelle sur la partie sud de la rivière. L’Agence de l’eau Loire-Bretagne reconnaît que l’état écologique du Léguer est dorénavant« de bon à très bon ».

EFFORTS CONTINUS ET RISQUES NOUVEAUX

Mais pas de quoi crier victoire. Sur la partie avale du Léguer, qui n’est pas concernée par la labellisation, la situation est moins limpide. Dans le Rau de Kerlouzouen, sur sa rive gauche, les taux de nitrates atteignent les 35 mg/l. Et en zones côtières, des contaminations bactériologiques sont enregistrées. Pour Samuel Jouan, les efforts doivent se poursuivre. Et pas question d’utiliser le label comme une excuse pour ne pas agir. « Nous avons atteint 10 % d’agriculture biologique sur le bassin versant. C’est encourageant. Mais nous devons aller plus loin, avec plus de prairies et donc moins d’azote et de pesticides »,détaille le technicien. Reste que de nouveaux risques planent sur le lit de la rivière. Au-delà de Belle- Isle-en-Terre, des permis d’exploration pour des mines de tungstène ont été déposés par une société anglo-saxonne. Entre les rejets de métaux, l’acidification du milieu et le recours au pompage, les acteurs du bassin versant et les associations locales s’inquiètent de leur activation. « Cette exploration pourrait ruiner 20 ans de travail autour de l’eau »,déplore Jean-Yves Le Corre. Attaché au Léguer, l’élu est aussi bien décidé à brandir le nouveau label pour s’opposer à de tels projets et « défendre un choix de développement d’activités durables ».

Plus d'infos :
www.vallee-du-leguer.com
www.rivières-sauvages.fr
www.eau-et-rivieres.org
www.observatoire-eau-bretagne.fr


PRÉSERVER LE SAUMON DE PRINTEMPS

 
© S. Jouon

Continuer à taquiner le saumon de printemps quand la pêche est officiellement close, c’est dorénavant possible. Depuis un an, l’association de pêche et de protection du milieu aquatique de Lannion expérimente le « no kill »sur les rives du Léguer. Une technique qui consiste à remettre sa prise à l’eau vivante après l’avoir ferrée. Pour éviter de blesser les poissons, les pêcheurs doivent pratiquer la pêche à la mouche et renoncer à l’utilisation des appâts. « Le no kill permet de garder la pêche ouverte une fois que le total autorisé de capture est atteint »,justifie Jean-François Jeandet, président de l’association. Pour cette espace migratoire, qui persiste dans le Léguer, mais devient de plus en plus rare, seuls 49 spécimens peuvent être pêchés chaque année sur l’ensemble de la rivière et par l’ensemble des pêcheurs. Jusqu’à l’année dernière, la pêche au saumon de printemps devenait donc illégale une fois le quota atteint. Avec le no kill, 56 pêcheurs se sont inscrits en 2017 pour prolonger légalement la pratique de leur passion. « C’est un pari pédagogique sur l’avenir. Pour amener doucement une autre vision de la pêche, plus désintéressée et qui préserve la ressource. L’interdire totalement n’aurait pas de sens. L’homme et les animaux peuvent co-habiter », explique Jean-François Jeandet. Pas question pour lui d’accabler les pêcheurs de rivière dans la raréfaction des saumons qui migrent durant trois à quatre ans jusqu’à la calotte glaciaire avant de revenir dans leur rivière de naissance.« Le problème est ailleurs », plaide-t-il. Et d’alerter :« La mer est de plus en plus dangereuse et elle les nourrit de moins en moins puisque le krill, leur principale alimentation, subit dorénavant une pêche industrielle. »


INTERVIEW

JEAN-LUC PICHON : « Un engagement citoyen qui a payé pour le Léguer »

Si aujourd’hui le Léguer a le label « Rivière sauvage » c’est parce qu’il y a 39 ans, un réseau relationnel partant d’un engagement citoyen s’est créé dans sa vallée.


Par Jean luc Pichon, 46 ans d’engagement citoyen
 


© V. Jourdan

Tout a commencé le 13 novembre 1979. Citoyen engagé de la vallée du Léguer et délégué de l’association APPSB (devenue Eau et Rivières de Bretagne), j’anime une rencontre avec la population, les élus et les associations sur l’urgence de lutter contre la pollution des abattoirs Tilly de Guerlesquin. Le 30 novembre 1979 voit la création de l’Association pour la sauvegarde du Léguer (ASL) avec le syndicat des eaux de Traou-Long, les associations APPSB, FAPEN, SEPNB, Sauvegarde du Trégor, AAPPMA de Lannion, et des élus. La première raison : le constat qu’environ 16 km de la rivière sont pollués. La notion d’identité de la vallée du Léguer vient de naître. La vigilance citoyenne s’organise. Fin de l’indifférence !

DE LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT À L’ÉDUCATION CITOYENNE

Au cours de ces 39 ans, je me souviens de quelques temps forts : 

1981 Un grand Chantier rivière propre mobilise 600 personnes sur les rives du Léguer. Le but : permettre à chacun de se sentir acteur, condition essentielle de la participation citoyenne pérenne. Instituteur, j’anime dans ma vallée une des premières classes de rivière. Objectif atteint… Ouverture en avril 1987 du premier centre d’initiation à la Rivière en France, à Belle-Isle-en-Terre, en partenariat avec les élus et Eau et Rivières de Bretagne (ex APPSB).

1987 Création de l’association Vallée du Léguer (AVL) constituée d’élus et de représentants associatifs.

1996 Effacement du barrage de Kernansquillec, le premier grand effacé en France et en Europe !

1997 L’AVL crée la Fête du Léguer. Des moments riches d’échanges et de partage qui renforcent l’identité de la vallée.

1998 Création du Comité de Bassin Versant (BV) pour accompagner les agriculteurs dans des pratiques moins polluantes.

2016 Fusion des associations BV et AVL : le Bassin Versant Vallée du Léguer (BVVL) avec l’ambition de préserver et mettre en valeur l’eau et les milieux aquatiques. 

Hier nous avons dit « NON » à un environnement dégradé. Une des forces du Léguer a été d’intégrer dans les processus de décision les associations. C’est donc une vision globale, systémique qui nous amène à construire pour demain un nouveau territoire avec comme support le label Rivière sauvage. Aujourd’hui, il faut s’interroger sur la place de l’engagement citoyen. La participation au dialogue environnemental devient bien difficile face aux nouvelles gouvernances locales et régionales constituées quasi exclusivement d’élus.

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