[THEMA] ERB : Bretagne, l’eau miroir de nos actes

Publié le ven 23/06/2023 - 12:00

Par Eau et Rivières de Bretagne

En Bretagne, on a l’habitude de dire que toute l’eau tombée sur son territoire s’écoule sur son territoire, pour le meilleur et pour le pire d’ailleurs. Les Bretons ont très tôt eu conscience qu’ils avaient le destin de leur eau entre leurs mains, aidés en cela par quelques citoyens éclairés qui avaient entendu les sombres prophéties, venues par-delà l’Atlantique, de Rachel Carson et son livre Printemps silencieux ou de Barry Commoner et son livre, traduit en français en 1969, sous le titre Quelle terre laisserons-nous à nos enfants ?

1969, c’est justement l’année où des pêcheurs de saumons décident de se constituer en association, Eau et rivières de Bretagne. Ils portent à leur tête un homme, Jean-Claude Pierre, qui vouera sa vie à cet animal mythique et à la protection de la nature en général. Car ce poisson majestueux est hélas l’une des victimes collatérales de la révolution agricole bretonne et des trente glorieuses, et va devenir le symbole des premières luttes pour l’eau pure.

À l’aube des années 70, le gouvernement de De Gaulle décide de répondre à l’appel des élus bretons, réunis au sein d’un comité transpartisan (le CELIB, Comité d'étude et de liaison des intérêts bretons), et la pression des syndicats agricoles pour faire de la Bretagne la première région d’élevage du pays. Remembrement, recalibrage de cours d’eau, drainage, routes, extension des ports pour accueillir le soja d’Amérique... En 20 ans, la puissance des machines va transformer durablement le réseau hydrographique breton et la Bretagne se couvrir de maïs et de céréales, sous perfusion d’engrais, charriant son lot de pollutions diffuses (pesticides, nitrates, antibiotiques, bactéries…).

Quand le poisson meurt, l’homme est menacé

Pour les membres d’Eau et rivières, il apparaît bien évident que défendre le saumon, c’est avant tout être capable de mettre en œuvre les moyens de sauver les rivières et, par-delà, de protéger l’ensemble du vivant. Car les rivières bretonnes ne sont pas seulement l’habitat des salmonidés. Elles sont aussi les « fontaines » des villes : 70 % de l’eau distribuée au robinet des Bretons a pour origine l’une des nombreuses prises d’eau en rivières. Le reste étant puisé au plus près des villages dans de nombreux forages communaux. C’est justement ce qu’ont vainement tenté de protéger la loi sur l’eau de 1962 et la directive européenne sur les eaux brutes en 1976. Mais ces textes ne feront pas le poids face au mythe du « progrès » et de la modernité.

La fuite en avant comme système de gestion

Les années 80 vont être les années du déni et de la fuite en avant, érigés comme un système de gestion. Un peu partout les taux de nitrates sont tels que l’eau n’est plus potable dans plusieurs secteurs. Bien que les militants de l’association multiplient les conférences, les articles de presse, les rendez-vous jusqu’au sommet de l’État, rien n’y fait : les élevages continuent de s’agrandir et, pour toute réponse, on multiplie les abandons de captages (on en abandonnera plus de 300 ces 40 dernières années !).

La Bretagne rattrapée par la patrouille

À la fin des années 80, la situation est quasiment hors de contrôle. Les élevages de porcs et de volailles ont multiplié les infractions à leurs autorisations de produire. Le lisier coule à flot. Les taux de nitrates augmentent en moyenne de 1 milligramme par litre. Les marées vertes envahissent plusieurs baies bretonnes.

Fatigués de crier dans le vide, les militants vont engager un véritable bras de fer judiciaire avec l’État, qui ne fait pas appliquer sa propre réglementation, et avec l’ensemble du système agro-industriel qui a fait de la pollution sa marque de fabrique.

Condamnations de l’État dans ses engagements à lutter contre les marées vertes, de Monsanto pour publicité mensongère, de la Lyonnaise des eaux pour avoir distribué de l’eau sur-nitratée, d’industriels pour rejets de substances polluantes ayant entraîné des mortalités piscicoles, annulations d’autorisation d’exploiter... En 30 années, l’association va obtenir plus de 800 décisions de justices favorables. Certaines de ces décisions vont directement conduire à la mise en œuvre d’obligation de meilleure prise en compte de l’environnement.

Mais dans l’énorme majorité des cas, ces actions devant les tribunaux ne serviront qu’à corriger à la marge le modèle et ses excès. Car pour transformer durablement les systèmes d’exploitation, il aura manqué un signal économique majeur. Toutes ces années, la politique agricole commune (PAC), qui injecte près de 500 millions d’argent public par an en Bretagne, n’aura eu de cesse que de soutenir l’élevage industriel et la course à l’agrandissement.

Pour les militants associatifs, avoir raison trop tôt n’est malheureusement pas une satisfaction. Il est pourtant une chose qui ne les a jamais quittés : l’idée que l’indifférence et la résignation devaient être sans cesse combattues et qu’il y a toujours des raisons d’espérer que la Bretagne sorte enfin de ce système mortifère.


ERB, qu'est-ce que c'est ?

Eau & Rivières de Bretagne (Dour & Stêrioù Breizh, en breton) est une association de protection de l'environnement régionale. Sa première mission : défendre et protéger la qualité de l'eau et des milieux aquatiques. Elle a imposé la question de l'eau dans le débat public. Soutenue par des partenaires publics et privés, elle agit en toute indépendance.

www.eau-et-rivieres.org

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