Que faire des friches urbaines ?

Publié le lun 07/05/2018 - 12:52

Pour lutter contre l’étalement urbain, des communes dépolluent les friches, ces anciens sites industriels, et y construisent logements et centres d’activités. Parfois, ce sont les citoyens qui se les approprient pour en faire des lieux d’expérimentation des transitions. Mais laisser quelques endroits sauvages a aussi son intérêt pour la biodiversité.

Par Benoît Vandestick


Dans la périphérie de Redon, des citoyens se sont emparés d’une friche industrielle pour en faire un espace de convivialité et d’expérimentations. Élevage, potager, apiculture, cuisine et aménagement du paysage sont autant d’ateliers pour entretenir et faire vivre l’ancien site industriel. Une règle : faire uniquement avec ce qu’il y a sur le lieu. Place à l’imagination.

Un arbre pousse au milieu d’un petit bâtiment en parpaing, découvert et bariolé de graffitis. À l’intérieur, de vieux racks rouillés remplis de déchets de toutes sortes. Morceaux de bitume, ferraille, plastique. « Cet endroit est un peu une poubelle, commente Alain Berhault. Nous y avons mis tout un tas de déchets ramassés sur le site dans les premières années où nous avons commencé à l’occuper. » Ce site, c’est une friche industrielle, située à Saint-Nicolas-de-Redon, dans une zone qui borde la Vilaine. Son nom : Le Transformateur. Alain est membre de l’association Les amis du Transformateur, qui gère et anime l’endroit depuis 2005, en collaboration avec le Conseil départemental de Loire-Atlantique, propriétaire du lieu. « Nous sommes une quarantaine de membres actifs à nous en occuper, rapporte ce jeune architecte-paysagiste convaincu par la permaculture. On se répartit en différents ateliers. Il y a l’apiculture, le potager, la cuisine, l’élevage et le paysage. » Lui travaille au paysage. « Puis, chaque premier samedi du mois, on se rejoint tous pour un chantier commun. »


Éleveur de vaches nantaises, Paul est membre de l’association et participe à l’atelier élevage. © B. Vandestick

En ce premier samedi de janvier, c’est l’atelier élevage qui organise l’événement mensuel. Il y a des arbres à tailler le long d’un petit chemin. Une vingtaine de bénévoles s’activent joyeusement à la tâche. Les tronçonneuses vrombissent et les serpes claquent, au rythme des brouettes qui vont et viennent. Cette convivialité, c’est ce qui a séduit Anne-Marie Moutault, présidente de l’association. « J’ai décidé de m’y engager pour la retraite, raconte-t-elle. Je trouve qu’aujourd’hui on est souvent dans la parole et je préfère les rencontres par l’activité. Cela permet de mieux se connaître et de réunir des personnes très différentes. » Car la friche industrielle est aussi un point de rencontre privilégié. « Beaucoup de membres sont également bénévoles d’autres associations comme les Incroyables comestibles, les associations d’éleveurs ou dans l’économie sociale et solidaire », ajoute Alain.

IMPROVISER AVEC LES MATÉRIAUX PRÉSENTS

Bottes et manteaux habillent les bénévoles. L’humidité du sol se propage dans l’air et pénètre les vêtements, faisant chuter de quelques degrés le ressenti de la fraîcheur hivernale. « Nous sommes ici sur des marais, précise l’architecte-paysagiste. Le sol a été totalement transformé par le remblai puis couvert de béton et de bitume. » Sur la dalle de goudron, au centre du lieu, s’élèvent deux grands hangars, vestiges d’une scierie. Autour, d’autres bâtiments plus petits, dans lesquels se trouvent encore de vieilles machines. Et puis les ruines d’anciens transformateurs. Le site en tire son nom. « Selon les prélèvements, il n’y a pas ici une biodiversité énorme, sauf à quelques endroits où l’on trouve des colonisations très spécifiques, rapporte Alain. Des plantes que l’on retrouve habituellement sur les friches. La biodiversité la plus riche se trouve dans les milieux les plus humides du site. » La qualité de l’eau est aussi observée. Verdict : un peu d’arsenic et de plomb, mais en très faibles quantités. Pas de quoi se priver de consommer les légumes du potager. Tout ce qui se trouve sur la friche est valorisé autant que possible. « On s’est donné comme objectif d’éviter de faire entrer ou sortir des objets du site, souligne Alain. On essaie donc de tout faire avec ce qu’il y a sur place. » Une contrainte qui fait travailler l’imaginaire et sortir de terre les structures les plus inattendues. « On essaie de garder la spontanéité du lieu, l’aspect sauvage, en friche, tout en y ajoutant une petite note poétique », fait remarquer Anne-Marie.

À quelques mètres des deux grands hangars, un carré de plantation d’arbres illustre parfaitement l’esprit de récupération. Sur un côté, les arbres sont bordés par une ancienne cheminée en métal d’une trentaine de mètres. Sur deux autres côtés, ce sont des bâtiments qui servent de bordure. Alain fait remarquer l’architecture décalée du dernier côté : « C’est un muret monté en gravats. » Des morceaux de bitume, des blocs de béton, des pièces de machines et autres poutres en ferraille s’associent harmonieusement. « On cherchait une manière de construire l’entourage avec une économie de moyens, poursuit-il. On a fait le minimum. Enlevé la surface en bitume, brassé la terre, mis un peu de compost, planté les arbres et c’est tout. Un artiste nous a accompagnés pour le design. Ce gros chantier a duré un an. »

LES VACHES ENTRETIENNENT

Les arbres poussent à merveille au Transformateur. Tout autant que la végétation spontanée, qui envahit rapidement la friche. Pour entretenir l’espace, Les amis du Transformateur élèvent un troupeau d’une petite dizaine de vaches nantaises. Bénévole dans l’atelier élevage, Fabrice Gendre défend avec conviction la conservation de cette race. « On travaille beaucoup avec les réseaux paysans pour développer l’élevage de vaches nantaises sur le secteur et sensibiliser le public, explique-t-il. C’est vraiment important pour la biodiversité. Des paysans sont aussi bénévoles ici. » Comme Paul, occupé aujourd’hui à transporter le bois avec son tracteur. « Les vaches sont presque toute l’année sur le terrain, puis dans l’étable l’hiver, reprend Fabrice. Elles pâturent au Transformateur et aussi dans les champs autour, qui appartiennent au Conseil départemental. Il faut s’en occuper tous les jours, donner du foin l’hiver, de l’eau l’été, faire les clôtures… On a deux à trois veaux chaque année. On fait du boeuf qu’on mange lors des repas associatifs. »

Du bœuf est justement au menu du déjeuner pour les bénévoles. À l’autre bout du site, dans la petite cuisine, Danny et Rose s’activent. « Nous ne sommes jamais beaucoup à l’atelier cuisine », fait remarquer la première. La vapeur sortant des marmites se répand dans la pièce et couvre les fenêtres de buée, privant de la vue sur le Transformateur. Pour accompagner le boeuf : de la soupe, puis des bananes flambées. « Tout est d’ici ! », s’enthousiasme la cuisinière. « Les bananes aussi ? », s’amuse Alain. « Bien sûr ! », plaisante-t-elle. Bananes ou pas, leur travail a porté ses fruits.

+ D’INFOS :
le-transformateur.fr
www.ademe.fr
basol.developpement-durable.gouv.fr
www.georisques.gouv.fr/dossiers/inventaire-historique-des-sites-industr…


PLEYBER-CHRIST (29) ÉPARGNE DES CHAMPS

Réhabiliter une friche industrielle pour lutter contre l’étalement urbain. C’est le projet réalisé par la petite commune de Pleyber-Christ, dans le Finistère. L’espace d’un hectare en plein centre-bourg était en friche depuis 2002, après fermeture d’un établissement de négociants en vin. En 2007, dans une démarche de développement durable, la mairie décide d’y construire des bâtiments pour accueillir logements et commerces. Après dépollution du site, les matériaux issus de la déconstruction ont été stockés sur place pour être réutilisés en voirie. Les bâtiments ont été conçus dans une démarche durable : matériaux bio-sourcés, comme l’ossature en pin Douglas non traité et exposition au soleil optimisée. Ils offrent 44 logements et 1 100 m2 d’espaces commerciaux. Occupé depuis 2016, le nouveau site a aussi l’avantage de redynamiser le centre-bourg.


INTERVIEW

AUDREY MURATET : « Il faut changer de regard sur les friches »


DR

Docteure en écologie à l’université Pierre-et-Marie Curie (Paris-VI), elle étudie et explore depuis plus de quinze ans la flore des villes. En juin 2017, elle a publié Flore des friches urbaines. Selon elle, il est important de laisser des friches au coeur de la ville.

Propos recueillis par BV

Quelles sont les caractéristiques de la flore des friches urbaines ?

Les friches en ville sont les milieux qui abritent la plus grande diversité en flore. C’est un assemblage d’espèces que l’on trouve partout en ville mais on rencontre aussi des espèces typiques des friches, notamment des bisannuelles. Ce sont souvent de belles fleurs très colorées. Dans ces friches comme ailleurs il y a aussi des espèces qui ne sont pas originaires de la région. Ces lieux sont des réservoirs de biodiversité urbaine, qui sont encore très peu étudiés. Les citadins s’y rendent peu souvent. Soit à cause de l’absence d’accès soit du fait d’un point de vue négatif, voire d’un mépris pour ces espaces. 

Faut-il alors protéger ces espaces ? 

Ce serait important, je pense, pour des friches particulièrement intéressantes, de grande superficie, assez anciennes, de tenter de les maintenir le plus longtemps possible. Ces espaces souvent méprisés sont parfois utilisés comme des décharges. Ce qui dégrade le milieu. L’idée serait donc de leur donner une image plus positive.
Que les citadins s’emparent de ces espaces pour les visiter. J’espère aussi que les élus auront un autre point de vue sur les friches. Qu’elles ne soient plus vues comme des dents creuses, des terrains vacants en attente de construction. 

Peut-on aménager pour le public tout en préservant la biodiversité ?

Aménager c’est un terme qui ne va pas avec le mot friche. Simplement effacer les murs, effacer les barrières et rendre visible. Sensibiliser le public à ces espaces, avec par exemple des panneaux. Ce sont des actions simples. J’ai passé pas mal de temps sur le terrain en Ile-de-France et j’ai collaboré avec plusieurs communes, comme Saint-Denis. On a travaillé avec habitants et paysagistes sur l’aménagement justement pour préserver l’existant. Le but n’est pas de tout détruire pour faire autre chose. À partir du moment où on gère complètement l’espace, ce n’est plus une friche. Dans une friche, on est complètement déconnecté de la ville. Ce sont un peu des jungles et c’est ce qui est passionnant dans ces milieux. Les sensations se réveillent, on est aux aguets, à l’écoute et on observe.

258 C’est le nombre de plantes recensées dans le livre d’Audrey Muratet. Grâce aux photographies et descriptions, le lecteur peut se balader dans une friche pour tenter de les identifier.

À LIRE : Flore des friches urbaines, Audrey Muratet, Myr Muratet, Marie Pellaton, Éditions Xavier Barral, 458 pages, 25 euros

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !