[ PROVENCE ] - Semer une graine pour lutter contre l’érosion des sols

Publié le ven 08/03/2019 - 15:37

Par Marie Lyan           

Dans les Hautes-Alpes, le Conservatoire botanique national alpin (CBNA) s’est saisi de la la lutte contre l’érosion des sols en montant un programme, baptisé Sem’les Alpes. L’objectif ? Végétaliser des espaces naturels fortement dégradés, en accompagnant le marché de semences locales.

Alors que la neige occupe une grande partie des massifs alpins, sonne l’heure du premier bilan pour les acteurs du projet Sem’les Alpes. Partout où ils sont passés, la végétation a repris le dessus. Il n’y a plus aucune trace de foin ou de restes de fond de grange sur les sentiers, vestiges d’un processus de revégétalisation. Ni dans les Hautes-Alpes, sur la piste de ski de la station Saint-Léger-les-Mélèzes, qui a retrouvé sa végétation de prairie, ni sur les terrains caillouteux du désert de Valjouffrey, en Isère. Expérimenté depuis 2016, ce projet européen, dirigé par le Conservatoire botanique national alpin (CBNA), l’Irstea et la Société d’économie alpestre de la Haute-Savoie (SEA 74), vise à réensemencer une dizaine de sites pilotes dégradés, en raison de la fréquentation humaine ou de travaux. Un premier test « grandeur nature », à l’échelle française, a été mené au sein de domaines skiables, de sentiers et prairies naturelles. « Chaque fois que l’on touche à une prairie de montagne, il s’agit d’un véritable trésor, qui est là depuis près de 10 000 ans », met en garde Antoine Rouillon, directeur de la SEA 74.
Chaque année, près de 706 hectares de terrains d’altitude nécessiteraient d’être revégétalisés à l’échelle des Alpes. L’enjeu est fort, d’autant que la plupart des espèces utilisées dans le cadre de ces travaux proviennent de l’étranger, menaçant la biodiversité et la génétique des espèces locales. « On sait que les semences locales sont plus en mesure de résister aux conditions bioclimatiques », résume Stéphanie Huc, chargée de mission Conservation au Conservatoire botanique national alpin (CBNA), à Gap. L’érosion représente également une problématique majeure pour les stations de ski. « On sait qu’une neige de culture se conserve mieux sur un sol végétalisé que sur un sol nu. Sans oublier l’impact d’un tel paysage pour la saison estivale », avance Stéphanie Huc. Sans compter que la perte de diversité des espèces aurait aussi un impact direct sur la qualité des foins récoltés du côté des agriculteurs.

 

Des espèces adaptées au milieu

Les trois partenaires ont travaillé avec des collectivités (les conseils départementaux des Hautes-Alpes et de la Haute-Savoie), des acteurs privés (le semencier Phytosem), mais aussi des stations de ski (Courchevel, Saint-Léger-les-Mélèzes). Avec un objectif : développer une liste d’espèces locales, adaptées à la moyenne montagne (900 à 1500 mètres) et à la haute altitude (2600 mètres). « Nous avons misé sur des plantes présentes un peu partout dans les Alpes, qui sont résistantes, cultivables et appétissantes pour les animaux, afin de favoriser le retour à une prairie naturelle, diverse en espèces », ajoute Antoine Rouillon.

Achillée millefeuille, pâturin des Alpes ou encore trèfle des neiges : huit espèces et une vingtaine de plantes ont été semées sur le terrain. « Nous avons utilisé différentes méthodes, comprenant des mélanges grainiers, du transfert de foin vert et des recueils de fonds de grange », précise Stéphanie Huc. Le département des Hautes-Alpes s’est notamment servi de ces techniques pour revégétaliser un chemin de 1,5 kilomètre, dégradé par les randonneurs, menant au Col-Vieux. « Le programme Sem’les Alpes est arrivé à point nommé, car nous rencontrions une forte dégradation de ce milieu fragile, situé à 2600 mètres d’altitude. Cela nous a permis de bénéficier d’une expertise scientifique, de tester de nouvelles méthodes, comme le recouvrement des graines avec une toile de jus de coco biodégradable, limitant les pertes lors des ruissellements », explique Isabelle Chouquet, chef de service Ressources naturelles et risques au Département.


Des résultats probants

Trois ans après la mise en œuvre de ce projet, qui a bénéficié d’une enveloppe de 300 000 €1, les résultats sont au rendez-vous. « Certaines espèces sont sorties dès la première année », évoque Stéphanie Huc. « Les premiers bilans indiquent que des espèces qui n’avaient pas été semées sont elles aussi revenues », souligne à son tour Antoine Rouillon. Bien que les graines locales sont plus coûteuses à l’achat, les utilisateurs pourraient s’y retrouver grâce à une meilleure adaptation des plantes à leur milieu. Ils feront aussi des économies puisqu’il n’aura pas été nécessaire d’utiliser de l’engrais ou de réaliser un second ensemencement.
Thomas Spiegelberger, directeur adjoint du Laboratoire EcoSystèmes et Sociétés En Montagne de l’Irstea (Grenoble), confirme que le végétal local a permis de passer d’une quantité de 20 g/m² à seulement 2 g/m² de semences pour la remise en état d’une piste de ski à Courchevel.
Phytosem, l’un des derniers semenciers de la région, basé à Gap, estime que le programme Sem’les Alpes a constitué « un point de départ » au développement d’une nouvelle filière. « Nous avons reçu une subvention de 15 000 € à travers ce programme, qui nous a permis de réaliser des collectes d’espèces sur des sites naturels, de faire des tests de multiplications et des suivis de chantier », indique son directeur technique, Julien Planche. Des agriculteurs, le monde du ski, des professionnels de la recherche et de l’aménagement du territoire ont travaillé ensemble « pour la première fois », explique Antoine Rouillon. La prochaine étape est de mettre en place un modèle économique. « Pourquoi pas en lien avec des groupements agricoles ? », souffle Stéphanie Huc. D’après les estimations du CBNA, près de 80 tonnes des graines seraient nécessaires chaque année pour répondre aux besoins et revégétaliser en moyenne 400 hectares de milieux naturels.

 

1 Issu de fonds européens, du fonds national d’aménagement et de développement du territoire et du conseil départemental de Haute-Savoie.

Plus d’infos :

www.cbn-alpin.fr

www.irstea.fr

 

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