Mont-Saint-Michel : ils veillent sur les dauphins de la baie

Publié le mer 18/07/2018 - 10:11

Par Virginie Jourdan 

Réputée pour ses moutons des prés-salés, la baie du Mont Saint-Michel abrite aussi une faune marine méconnue. Depuis une trentaine d’années, des espèces comme le grand dauphin y ont élu domicile. Mais entre l’ensablement de la baie et la prolifération des déchets plastiques issus de l’activité conchylicole et touristique, leur habitat naturel est menacé. Depuis 2003, des bénévoles et des scientifiques ont décidé de veiller sur eux.

Face au quai de Port-Mer, à Cancale, la mer est d’huile. Au loin, le Mont Saint-Michel se perd dans la brume de mai. Au-dessus, le ciel est traversé par quelques cumulus. Un temps assez clément pour espérer croiser la route des grands dauphins. « Les rencontres restent aléatoires. En moyenne, nous les croisons deux fois sur trois », témoigne Rémy Vermesse, vétérinaire et adhérent d’Al Lark. Ce matin, ce passionné de dauphins a rejoint quatre permanents de l’association naturaliste pour opérer une nouvelle observation en mer. Au programme, trouver un groupe de cétacés, le géolocaliser, observer son comportement, prendre des sons et des images pour le connaître davantage.

« Un groupe d’environ 560 grands dauphins vit à l’année dans une zone qui va de la pointe de la Hague jusqu’à l’ouest du Cap Fréhel », explique Gaël Gautier, le directeur d’Al Lark. Classée en « préoccupation mineure » sur la liste rouge 2013 de l’Union internationale pour la conservation de la nature, cette espèce retient la curiosité et l’attention des scientifiques. « De multiples menaces pèsent sur son habitat et nous ne savons pas encore pourquoi ni comment ces colonies choisissent leur lieu de vie », explique Morgane Perri, responsable scientifique de l’association.

L’équipe d’Al Lark reçoit aussi les observations de l’application Obsenmer envoyées par des plaisanciers et naturalistes qui gravitent de Granville à Perros-Guirec. Ils les étudient et les valident pour accroître les connaissances sur les dauphins et l’état de leur habitat naturel - V.Jourdan

Recherche collaborative

Une fois à bord, l’équipage s’affaire. Dorénavant le parcours du bateau et les observations sont directement enregistrés sur une tablette. Une fois récoltées, ces informations partent vers une plateforme collaborative en ligne. Appelée Obsenmer, elle a été créée et mise à disposition par le GECC (Groupe d’étude des cétacés du Cotentin), basé à Cherbourg. Présent dans la Manche, ce réseau de recherche oœuvre aussi dans l’Atlantique, la Méditerranée, les Antilles et la Guyane. Il regroupe des scientifiques, des associations et des plaisanciers. « Outre les dauphins, nous notons la présence d’animaux tels que des requins pèlerins ou des tortues luth que nous avons déjà croisés dans la baie », explique Morgane’ Perri. Quant aux dauphins, des chercheurs se penchent sur leur langage, leurs habitudes ou leurs motivations. « Ainsi, par exemple, ous ne savons pas encore pourquoi ils sont arrivés dans la baie il y a une trentaine d’années, illustre Morgane. Et nous ne savons pas non plus s’ils y ont des habitudes précises. »

Des adhérents formés à l’observation

Après une heure de sortie, l’équipe s’arrête pour sonder l’horizon à 360 degrés. Pour l’heure, pas d’aileron en vue ni de fous de Bassan à l’horizon. Un bon indicateur de la présence des dauphins car les deux espèces partagent la même position dans la chaîne alimentaire et se nourrissent des mêmes poissons, tacots et mulets en tête. Derrière ses jumelles, Rémy est patient. « Je ne m’arrête pas à la seule observation des dauphins », assure-t-il. Investi dans la vie de l’association depuis 7 ans, il a rejoint la commission qui s’occupe de la recherche participative. De retour à terre, il use de ses compétences d’analyste vétérinaire en vue de créer des protocoles scientifiques propres à l’association. « Avec 200 sorties annuelles, nous cumulons une base de données d’une rare envergure », souligne Morgane. Et des objectifs clairs.

En plus de collecter des données, les membres d’Al Lark veillent sur l’habitat des cétacés. « La pollution liée à l’activité humaine et la baisse des ressources halieutiques sont les principaux dangers qui guettent les grands dauphins », explique Gaël. À quelques centaines de mètres de l’embarcation, un bateau de pêche passe. Il vient de remonter un chalut (un filet de pêche en forme de cônes, NDLR). « Par chance, les chaluts sont assez petits sur nos côtes. Ici, la pêche reste une activité locale et les pêcheurs assez attentifs. Car la baie, c’est aussi chez eux ! », rassure Morgane. Ces sept dernières années, la biologiste a constaté deux accidents liés à ces filets : « alors que dans l’Atlantique, le nombre de dauphins victimes se compte par milliers ».

 

En plus des sorties scientifiques, les membres d’Al Lark sensibilisent les enfants à la biodiversité marine et aux risques de la pollution, notamment plastique. © Al Lark

 

Haro sur les plastiques 

Autre sujet d’attention pour l’association, les déchets plastiques. « Les macro-déchets, comme les sacs ou les bouteilles, peuvent provoquer des occlusions intestinales, mais ce ne sont pas les plus dangereux pour les poissons », explique Estelle. « Aujourd’hui, dans un portion de 100 grammes de chair de moule, nous trouvons 3 à 4 morceaux de micro-plastiques. Ils ne sont pas visibles à l’œil’ nu, mais une fois entrés dans l’organisme, ils continuent de s’y décomposer et ne disparaissent jamais vraiment », estime la responsable pédagogique de l’association. Dans la mer, 80 % des détritus ’ proviennent du continent et sont drainés par les rivières qui s’y jettent . Mais dans la baie du Mont Saint-Michel, l’activité conchylicole a aussi un impact non négligeable. Lors de la dernière journée dédiée au nettoyage de la grève, au printemps, près d’une tonne de déchets a été ramassée en deux heures. Cordes mytilicoles ou poches à huîtres, « 90% de déchets étaient liées à l’activité économique conchylicole », affirme Gaël.

Midi. Le bateau rejoint la plage à marée basse. L’équipe pense déjà à sa prochaine sortie. « Nous avons fait le choix d’être indépendants en nous finançant à 100 % grâce à nos sorties et nos 2500 adhérents », explique Morgane. Une manière de conserver leur liberté de ton et d’action. Quant aux dauphins, ils n’ont pas montré le bout de leur bec ce jour-là. « Ils sont à l’image de la nature, sourit Morgane, ils sont imprévisibles. Mais une fois qu’on les rencontrés, on ne pense plus qu’à les revoir et les protéger. »

 


Les sciences participatives en Bretagne

De nombreuses associations au niveau national ou régional proposent des programmes de sciences participatives, parfois en lien avec le Muséum national d’histoire naturelle. Sur le site www.naturefrance.fr, retrouvez l’annuaire du Collectif national Sciences participatives qui recense les dispositifs existants dans l’Hexagone. Bretagne Vivante, VivArmor Nature, la LPO et bien d’autres structures proposent forcément des actions près de chez vous.

 


Anne Dozières : « Plus on aura de données, mieux on pourra comprendre et protéger la biodiversité »

 

Crédit : DR

Anne Dozières est directrice de Vigie-Nature. Ce programme de sciences participatives développé depuis 30 ans par le Muséum national d'Histoire naturelle dénombre entre 15 à 20 000 citoyens participants chaque année.

Quel est le concept de Vigie-Nature ?

Vigie-Nature est un programme de sciences participatives. Concrètement, un laboratoire de recherche propose à des citoyens de récolter des données pour mieux comprendre le devenir de la biodiversité commune face aux grands changements que sont le réchauffement climatique, l'urbanisation ou l'intensification de l'agriculture.

Il s'adresse à tous les citoyens, débutants comme expérimentés ?

Historiquement, il s'adressait plutôt à des naturalistes. Mais depuis un peu plus de 10 ans, également au grand public et aux scolaires. Les protocoles et les suivis scientifiques sont adaptés pour que l'on puisse participer sans avoir de connaissances préalables sur les espèces.

Est-ce que la science pourrait aujourd'hui se passer des citoyens pour la collecte de ces données ?

Pour répondre à ces grandes questions sur les changements globaux, on a besoin de beaucoup de données sur des larges échelles à la fois spatiales et temporelles. Les scientifiques seuls ne pourraient y répondre.

Le maître mot de Vigie-Nature, c'est la collaboration ?

On a tendance à résumer en disant « ce sont des citoyens qui collaborent avec des scientifiques ». Mais ce n'est pas si simple. Ces programmes fonctionnent grâce à un réseau. En général, une association au niveau national pilote le programme avec le muséum. Mais il existe aussi tout un réseau de structures au niveau local qui peuvent être des associations, des collectivités, des muséums en région ou des entreprises, qui participent aux recherches.

Plus d'infos :

vigienature.mnhn.fr

 

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