Les glaneurs de Provence

Publié le lun 07/05/2018 - 16:46

Chaque saison, dans la région, fruits et légumes promis à la destruction car non conformes, arbres fruitiers, voire vergers entiers délaissés par leurs propriétaires, engendrent la perte de tonnes de denrées consommables. Pour lutter contre ce gâchis, des citoyens se rassemblent pour ramasser, redistribuer et valoriser ces ressources abandonnées. Reportage dans les Bouches-du-Rhône, où en un an, l’association Partage d’amour a sauvé quatre tonnes de fruits et légumes promis à l’abandon autour de Barbentane (13).

Par Éric Besatti

En ce début de printemps, l’assemblée générale des adhérents de Partage d’amour prépare l’avenir. Des enfants jouent autour des tables qui supportent les victuailles, des chiens se disputent un bout de bois et la petite trentaine de personnes assises en cercle discutent des prochaines actions à mener. Un maraîcher bio voisin a un problème avec ses épinards. Toute sa parcelle a le mildiou, un champignon qui donne des petites tâches jaunes sur les feuilles. En l’état, le paysan prévoit de tout arracher et de brûler la récolte. « L’idée est d’aller les ramasser bénévolement, ce qui évite du travail inutile au maraîcher pour ensuite les valoriser nous-mêmes : les partager ou les vendre à des prix justes »,explique Anthony Saint-Michel, 28 ans, initiateur du projet et président de l’association. Parce que si les épinards tachetés ne sont pas très présentables, leur qualité nutritive n’est pas remise en question. « C’est de la récup, sortir du système de vente actuel, éviter le gaspillage »,s’enthousiasme Amandine Chevalier, 39 ans, adhérente et déjà deux ateliers participatifs au compteur, l’un sur la fabrication de jus de fruits, l’autre pour de la récolte de pommes.


Durant l'assemblée générale de l'association, Anthony Saint-Michel, au centre, et les adhérents discutent des prochaines actions. © E. Besatti

RÉCOLTE PARTICIPATIVE SUR VERGERS EN FRICHE

C’est quelques mois plus tôt, quand il restait des pommes sur les arbres que les ateliers récolte battaient leur plein. Ce matin d’octobre, une douzaine de bénévoles se retrouvaient sur un hectare de pommiers qu’un arboriculteur proche de l’association n’exploitait plus depuis des années, par manque de rentabilité. Plus d’entretien donc, pas de taille, des herbes entre les rangées et des fruits vierges de traitement chimique. Parfait pour les valeurs de Partage d’amour en recherche de nourriture « saine et naturelle », comprenez sans traitement chimique et avec le moins d’entretien possible. Devant les arbres, l’atelier commence par des explications. « Normalement, tu mets du produit pour ne pas que les pommes tombent avant la récolte », commente Anthony, passé par un lycée agricole mais qui s’est ensuite tourné vers la permaculture. Ici, au pied des arbres, des fruits tapissent le sol. « Habituellement, tu mets aussi des produits pour qu’elles n’aient pas de taches »,différencie-t-il avec les pratiques conventionnelles. D’un mouvement de main instinctif, il cueille et croque dans une pomme bigarrée. « Elles sont très bonnes, moi ça me fait mal au cœur de les laisser pourrir »,engage-t-il. Alors, les pommes tachées de tavelure iront dans les cagettes pour les jus, les plus présentables pourront être vendues. Après ces premiers conseils, la récolte commence et la dizaine de personnes âgées de 28 à 70 ans s’approchent des arbres. « Faites-vous confiance », incite l’organisateur concernant le choix des fruits, la méthode de cueille et le rythme de travail. À la fin du chantier, la récolte est partagée selon le même principe. Un tiers pour le propriétaire du terrain, un tiers pour les participants baptisés« amiculteurs »et un tiers pour l’association qui vendra sa récolte lors de marchés organisés chez ses membres.« C’est pas du business, c’est pour s’entraider, pour que tout le monde puisse manger sainement »,poursuit Anthony Saint-Michel.

S'INSTALLER ET CONSTRUIRE UN LIEU DE VIE

Dans le nord du département des Bouches-du-Rhône, « 35 % des terres agricoles sont en friche ou inexploitées », selon Bernard Reynès, député du département. Anthony, fils d’agriculteur et fin connaisseur du secteur, fait le même constat. Depuis deux ans, il s’est installé à Barbentane sur un verger de pommes et poires abandonné. Il a posé là sa caravane et pris soin de la terre, récolté les fruits. Pour l’association, il a aménagé un vieux bâtiment en local qu’il a surnommé le « cabaoui »au lieu du cabanon. « Parce qu’on dit oui à la cabane ! », sourit-il. Aujourd’hui, la boîte aux lettres de l’association est posée à l’entrée du chemin de terre. Car c’est ici que Partage d’amour souhaite aller plus loin dans l’expérimentation et créer un lieu de vie qui réponde aux principes de la permaculture : « respecter la terre, respecter les humains et partager les ressources »,pose Stéphanie Roigt, secrétaire de l’association.« Une ferme qui soit une terre d’accueil pour des bénévoles intéressés, un lieu de formation et d’essais à la permaculture. Un lieu de vie en habitats légers écologiques et un mode de vie tendant à l’autonomie énergétique et alimentaire »,poursuit-elle. Cet espace permettra d’héberger les activités de l’association. Un lieu ressource pour organiser des ateliers, mais aussi un lieu de production de fruits et légumes, de plantes médicinales, de transformation, de vente, de réunions. Aujourd’hui, ils sont sept à vivre sur le verger abandonné, dont Céline, 38 ans, arrivée d’Alsace en septembre dernier.


© E. Besatti

Elle cherchait un projet dans lequel s’inscrire.« C’est un choix de vie. À la base je suis aide-soignante. Mais la manière de traiter les gens, les mauvaises habitudes qui s’installent à cause du manque de moyens humains ne me convenait pas. Je n’ai plus envie de cautionner ça. »Le point commun avec les autres habitants du terrain ? « Je crois que nous voulons tous nous rapprocher de la terre. »Dans l’association, il y a ceux qui souhaitent vivre l’aventure collective au quotidien et ceux qui viennent pour les activités comme Vanessa, 38 ans également. Cette ancienne ingénieure agricole a démissionné de son poste dans une entreprise d’import-export. Elle ne «se retrouvait plus dans les valeurs portées par la boîte ». Alors, en attendant de monter son projet d’agro-foresterie autour du Pontet, elle vient expérimenter ici et donner un coup de main. Après avoir envoyé un courrier au propriétaire du terrain qu’elle occupe pour l’acheter, l’association doit maintenant défendre son dossier à la Safer. Cet organisme public a la responsabilité de choisir les acheteurs des terres agricoles en s’assurant que les prix pratiqués permettent aux jeunes agriculteurs de s’installer. Le dossier passera en commission avant l’été. D’ici là, l’association tente de mobiliser avec une pétition sur internet et lancera un financement participatif pour boucler le budget de l’acquisition. Même si l’enjeu est important, Stéphanie Roigt, la secrétaire, relativise :« de toute façon, ici ou ailleurs, le projet se fera ». Dans l’article 635-1 du Code pénal, il existe un droit à glaner « après le lever du soleil et avant son coucher [..] sans l’aide d’aucun outil […], la récolte terminée et enlevée car l’agriculture ne doit pas en pâtir ».En revanche, il n’y a pas de droit à squatter des terres agricoles laissées en friche. Après un an de progression, l’association n’a d’autre choix que de rentrer dans les normes pour prolonger et réaliser ses projets. Même si dans l’idée, Anthony ne se voyait pas propriétaire, mais plutôt membre et animateur d’un réseau de plusieurs communautés installées dans différents terroirs. « Pour proposer aux paysans bio des services de récolte des fruits et légumes promis à la destruction. Et rapprocher les citoyens de la terre et d’une alimentation saine », expose-t-il. Pour enfin faire respecter un autre texte : « le droit de chaque être humain d’avoir accès à une nourriture saine »,inscrit en 1996 dans la Déclaration de Rome et signé par 185 États. Ce qui est encore loin d’être le cas. « La prise de conscience commence par l’assiette »,sourit Céline. Effectivement, ce n’est qu’un début.

 

+ D’INFOS : www.change.org/p/collectif-partage-d-amourterre-d-amour-une-terre-d-avenir
Page Facebook Partage d'Amour

 


NOUVELLE VIE POUR FRUITS DÉLAISSÉS

Dans la région, en ville comme à la campagne, nombreux sont les arbres fruitiers laissés à l’abandon. Des citoyens se mobilisent contre ce gâchis et glanent les fruits pour les distribuer, les transformer et créer de l’activité. Tour d’horizon.

Par VG

LA CUEILLETTE SOLIDAIRE

Lutter contre le gaspillage, entretenir le patrimoine et favoriser l’emploi dans le pays de Grasse, voilà les raisons d’être de la Cueillette solidaire portée par l’association intermédiaire Renouer depuis 2012. Chaque année, environ 50 tonnes de fruits et de fleurs sont ramassés chez des particuliers par 250 bénévoles. Et dix à quinze personnes sont salariées environ 3 mois par an pour la récolte des olives. Les produits de ces cueillettes sont ensuite transformés par une cuisinière permanente salariée depuis 4 ans et distribués dans la boutique qui emploie deux personnes.

Plus d’infos : cueillette.renouer.com
boutique.renouer.com

 

FRUITS D'AVENIR


L'atelier mobile de jus de fruits de l'association Fruits d'avenir. © Fruits d'avenir

Depuis 2013, équipée d’un pressoir mobile, l’association Fruits d’avenir parcourt le pays dignois pour transformer les fruits en jus (à partir de 100 kg de fruits pour 1,60 euros le litre). Ses clients ? Des particuliers comme des producteurs. En 2016, année représentative, 96 000 litres de jus ont été pressés. L’association travaille aussi en convention avec les propriétaires de vergers abandonnés, des poiriers essentiellement. Environ 250 arbres centenaires. Ainsi, les arbres sont entretenus, les fruits ramassés et les propriétaires rétribués en jus. « La récolte a lieu durant 2 à 3 semaines au cours desquelles l’association embauche une dizaine de saisonniers », explique Raphaël Chairat, secrétaire de l’association.

Plus d’infos : www.fruitsdavenir.com

 

ASSOCIATION DES CUEILLEURS ET CUEILLEUSES D'AGRUMES DE NICE

Récupérer les oranges, mandarines, clémentines, citrons délaissés… voilà l’objet de l’Accan, association née au début de l’année à l’initiative de Michel Courboulex (créateur de la Gazette des jardins). La première cueillette a eu lieu mi-mars. Là encore, le but est de lutter contre le gaspillage de ces fruits emblématiques de Nice et pourtant souvent délaissés, d’en redistribuer une partie aux propriétaires et de les valoriser.

Plus d’infos : nicecitrus.org

 

CARTE COLLABORATIVE

Le site fallingfruit.org, créé aux USA, propose une carte du monde collaborative qui recense les arbres fruitiers citadins accessibles gratuitement. Elle répertorie aujourd'hui 2340 espèces à glaner réparties sur 1 395 180 sites.

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