JOSÉ BOVÉ : Grands projets inutiles, pesticides, nucléaire... « MOBILISER L’OPINION POUR GAGNER EN POLITIQUE »

Publié le mar 13/03/2018 - 10:37

Après 9 ans au Parlement européen, José Bové est devenu un politique accompli en proie à la réalité de Bruxelles. Mais il n’abandonne pas ses convictions pour autant. Écologiste bien sûr, mais aussi anti-militariste et altermondialiste, « l’homme du McDo » se revendique aujourd’hui pragmatique et appelle à la mobilisation de chacun, seule solution selon lui pour inverser les rapports de force et permettre aux élus de modifier en profondeur la société. Rencontre engagée.

Propos recueillis par Magali Chouvion

José Bové, vous êtes engagé contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes depuis la première heure. J’imagine que vous êtes extrêmement satisfait de l’annonce de son abandon par le gouvernement, le 17 janvier.

Évidemment, c’est une excellente nouvelle ! Pour autant, l'abandon du projet ne met pas fin à la politique aérienne nationale. Nous avons beaucoup trop d’aéroports et de vols. Pour plus d'efficacité, il faudrait taxer, comme pour les automobiles, le kérosène des avions en calculant leurs émissions de gaz à effet de serre.

Est-ce à dire « donner un prix au CO2 », alors que vous vous y opposiez il y a quelques années ?

J’ai évolué et j’ai appris à être pragmatique. Donner un prix élevé au CO2 permettrait à l’Europe de taxer notamment les modes de transport polluants et de flécher les revenus vers le développement des alternatives et la sobriété énergétique.

Avez-vous été surpris de cette annonce ou était-ce « convenu » en amont par un accord entre le Président Macron et son ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot ?

Sincèrement, personne, même dans l’entourage proche du ministre, ne savait jusqu’au dernier moment quelle allait être la décision du gouvernement. Car la démarche d’analyse de la situation à NDDL (Notre-Dame-des-Landes, ndlr) – préalable à la prise de décision – est inédite ! La mise en place d’une commission réellement indépendante, avec prise en compte à la fois des différentes dimensions du projet proposé, mais aussi de son alternative (l’agrandissement de l’aéroport existant de Nantes, ndlr), est une excellente idée. Qui est à mettre au crédit du ministre et du Président.

Ils se sont sans doute inspirés de ce qui s’est passé à Sivens, où Ségolène Royal avait aussi mis en place une commission quelques mois avant le décès de Rémi Fraisse. Commission qui prennait aussi en compte les alternatives puisque c’est l’abandon du projet qui a été retenu.

Pensez-vous que la même méthode va être appliquée pour d’autres projets controversés, comme le centre d’enfouissement des déchets radioactifs de Bure (Cigéo), par exemple ?

Je l’espère. Car il est clair que l’enfouissement n’est pas la solution à Bure. Nous pourrions faire du simple stockage près des centrales, à la surface du sol. Ainsi, nous pourrions mieux contrôler les déchets et leur évolution dans le temps. Et si quelque chose bouge ou ne se passe pas comme prévu, réagir rapidement. Alors que sous des mètres de profondeur… De telles alternatives ont été proposées au début du projet dans les années 2000. Mais sont rapidement passées à la trappe.

Aussi, je souhaite vraiment que la méthode de l’expertise transversale, non partisane et indépendante, comme à NDDL, soit appliquée. Et étudie en profondeur tant le projet que ses alternatives.

Car il existe des alternatives à chaque projet ?

Bien entendu. Malheureusement, nous sommes dans une fuite en avant technologique et ne nous posons jamais la question de la cohérence du projet dans sa finalité. Nous avons tendance à oublier le bon sens.

Comme pour le tunnel Lyon-Turin, où l’on veut faire passer un train alors qu’il existe déjà un autre train pour ce trajet. Train qui va en plus être renforcé pendant que le tunnel sera creusé. Pourquoi ne pas se cantonner à cette option qui fonctionne actuellement ?

Même interrogation pour le grand contournement autoroutier de Strasbourg (GCO) qui a été confirmé par Hulot le 23 janvier. Pourquoi ne pas considérer les alternatives à « l’autosolisme » : transports en commun, pistes cyclables, incitation au covoiturage… dans la prise de décision d’un grand projet d’aménagement du territoire comme celui-ci ?

Vous faites référence au GCO, dont le renouvellement de la déclaration d’utilité publique le 23 janvier a été vécu comme un échec par les écologistes. Comment expliquer cette décision de Nicolas Hulot ? Pourquoi, comme d’autres écologistes, a-t-il renoncé une fois au pouvoir ?

Ce n’est pas le fait d’être au pouvoir ou d’être élu qui est un problème. La pensée dominante en politique, quels que soient les bords, est une pensée productiviste qui n’a pas tourné le dos au libre échange, à l’augmentation de la production… Donc toutes les victoires que l’on parvient à arracher pour lutter contre le réchauffement climatique se font contre toutes ces logiques économiques, politiques et industrielles… Ainsi, le Ceta (Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Europe, ndlr) ne contient aucune ligne sur l’accord de Paris sur le climat par exemple. On pourrait donc bientôt se retrouver avec des pétroles de canne à sucre en provenance du Brésil, en totale contradiction avec nos textes et aspirations écologiques.

Même sur des batailles de santé, on se retrouve face à des logiques économiques : cela coûte-il plus cher à un industriel de se passer de pesticides ou d’indemniser leurs victimes ? Voilà la réalité à laquelle nous sommes confrontés !

Sont-ce les mêmes raisons qui l’ont poussé à « lâcher » avec le recul de la fin des hydrocarbures, le report à après 2025 de la réduction de la part du nucléaire à 50 % de la production électrique, l’entrée en vigueur provisoire du Ceta, l’abandon du projet de taxe européenne sur les transactions financières… ? La liste est douloureuse pour un écologiste.

En fait, aujourd’hui, la seule manière de gagner une bataille politique en écologie est de gagner d’abord celle de l’opinion publique. Il nous faut nous mobiliser pour inverser les logiques.

Sur le terrain, les ONG ou associations n’ont pas encore le rapport de force suffisant pour imposer une alternative aux items que vous évoquez. C’est fondamental que l’on soit sur une double exigence : d’un côté l’opinion et l’action citoyennes ; de l’autre un changement de pratique des États.

C’est ce qui est en train de se passer sur le glyphosate. Première bataille de l’information gagnée : l’opinion publique est contre. Mais il faut maintenant que les États et l’Europe traduisent ce changement dans les textes. C’est exactement ce qui s’est passé à NDDL. L’abandon du projet s’est fait en deux temps : d’abord la mobilisation citoyenne, puis la signature de l’État.

Il nous faut construire des rapports de force. Pour ma part, j’essaie de les faire avancer là où je suis. Paysan, syndicaliste ou maintenant député. Chacun peut faire de même.

Plus d’infos :
jose-bove.eu
eelv.fr


 

José Bové, bio-express

  • 11 juin 1953 : José Bové, de son vrai nom Joseph Bové, naît à Talence (Gironde).

  • 1969 : réfractaire au service militaire, il déserte et trouve refuge dans une exploitation agricole des Pyrénées.

  • 1973 : le paysan participe au rassemblement national contre l'extension du camp militaire du Larzac, où il s’installe en tant qu’éleveur de brebis en 1976. Le projet d’extension sera finalement annulé en 1981 par François Mitterand.

  • 1987 : il participe à la création du syndicat de la Confédération Paysanne. José Bové rejoint son secrétariat national jusqu’en 1991.

  • 1997 : il investit un entrepôt de la firme Novartis pour alerter l’opinion publique sur les dangers que font peser les OGM. Il sera condamné à 10 mois de prison avec sursis.

  • 1999 : « démontage » d'un McDonald's à Millau. Il sera condamné à 3 mois de prison ferme, en présence de 100 000 personnes contre la marchandisation de la planète.

  • 2000 : José Bové est élu porte-parole national de la Confédération Paysanne. Il se retire du syndicat en 2004 pour devenir porte-parole de l’organisation paysanne internationale Via Campesina.

  • 2004 : avec d’autres membres du réseau des « faucheurs volontaires », il relance la campagne de destruction d’essais d'OGM en plein champ.

  • 2007 : candidat à l'élection présidentielle française de 2007, il recueille 1,32 % des voix.

  • 7 juin 2009 : José Bové est élu député européen en tant que tête de liste Europe Écologie les Verts pour la circonscription Sud-Ouest.

  • 2014 : il est réélu à son poste et devient vice-président de la commission Agriculture et Développement rural au Parlement européen. 


Enfin un nouveau règlement bio !

Après plus de trois années de bataille, un nouveau cadre réglementaire pour accompagner le développement de la bio a été voté par les membres de la Commission Agriculture du Parlement européen le 20 novembre dernier. Ce texte tant attendu par les agriculteurs « repositionne l’agriculture bio, et renforce notamment les contrôles des produits importés, ce qui était indispensable après les nombreuses fraudes des années 2010-2011 », explique José Bové.

Le texte aborde aussi la question des semences bio avec « la possibilité pour les agriculteurs de produire leurs propres semences et de les commercialiser ».

Pour l’heure, le texte n’a pas encore été voté par le Conseil, mais devrait l’être courant mars. Et comme pour la majorité des pays dans le monde, ce sont les normes européennes qui valent, son ampleur est de retombée internationale.

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