GRAINES D’AVENIR

Publié le lun 08/01/2018 - 15:50

Symboles de la lutte contre l’agriculture intensive, les semences paysannes ont fait couler beaucoup d’encre ces derniers temps. Agriculteurs, jardiniers amateurs et scientifiques se serrent les coudes pour les faire venir sur le devant de la scène et repousser les semences hybrides des firmes industrielles. À la clé : la préservation de la biodiversité et la liberté des paysans.

Par Faustine Sternberg

LA BRETAGNE, un bon terreau pour les semences paysannes !

Gage d’autonomie et de diversité, les semences paysannes ont le vent en poupe en Bretagne, où un label a été créé en septembre dernier. Mis en œuvre par l’association Kaol Kozh et la coopérative Bio Breizh, celui-ci résulte d’une dynamique bretonne bien engagée dans la réappropriation des variétés anciennes. Voyage au pays de la biodiversité cultivée.

Par FS

Simone Charrier est bien au chaud dans sa serre. Elle y récolte des feuilles de mesclun pour les vendre sur le marché de Carhaix, où elle se rend tous les samedis matin. « Ma salade de mesclun est composée de trente variétés différentes », s’enthousiasme cette quinqua d’origine allemande au regard lumineux, installée en maraîchage depuis treize ans sur la commune de Le Saint, dans le Morbihan. Adepte de la permaculture, elle cultive sur sa ferme du Moulin Coz 300 à 400 variétés anciennes de légumes, toutes issues de semences paysannes.

QUI SÈME DES GRAINES…

Dès son installation en agriculture biologique, Simone Charrier a choisi d’utiliser des semences paysannes, parfois moins productives que les semences conventionnelles de type hybride, mais plus acclimatées à leur environnement. « Sélectionnées année après année par les agriculteurs, les semences paysannes s’adaptent aux terroirs et aux climats. Elles ont une rusticité et donc une résistance face aux conditions extrêmes », présente Marc Sire de l’association Koal Kozh, créée pour recenser, multiplier et promouvoir les vieilles variétés bretonnes. Contrairement aux hybrides, les semences paysannes sont gage d’autonomie car elles peuvent être multipliées par l’agriculteur lui-même. Ce dernier fait monter en fleurs les légumes sélectionnés et récupère ainsi les graines. Bio Breizh, groupement de producteurs bio bretons, a mis en place un label Semences paysannes dès les années 2000. « Nous avons encouragé l’auto-production de semences, dans une démarche d’autonomie, mais aussi par peur de certaines variétés proposées presque exclusivement en CMS par les semenciers », explique Yoann Morin, salarié de Bio Breizh. Les CMS (Cytoplasmic male sterility) sont des semences hybrides où la stérilité du mâle est introduite par des méthodes biotechnologiques modernes, très proches de celles utilisées pour créer des organismes génétiquement modifiés (OGM). « Multiplier ses propres semences demande du temps, mais c’est toute une philosophie qui s’oppose à une agriculture dépendante d’intrants », s’enthousiasme Marc Sire.

COCKTAIL VOYAGEUR

Tout en plantant ses premiers semis d’oignons, Simone Charrier énumère, avec son accent germanique, les noms des dizaines de variétés de courges qu’elle a déjà récoltées et stockées, et qui dessinent un superbe tableau de formes et de couleurs : courge de Hongrie, Cornue d’hiver, Acorn, Longues de Nice et de Naples, Sweet Dumpling, Blue Ballet… Le savoir-faire et le temps nécessaires à la multiplication de chaque légume rendent difficile une autonomie semencière totale. « Les choux, les salades ou les courges sont auto-fertiles. Les différentes variétés doivent être isolées ou bien elles risquent de se mélanger », explique Simone Charrier qui se limite aux espèces dont elle est sûre de maîtriser le savoir-faire, comme les tomates, une de ses spécialités. Membre du conseil d’administration de Koal Kozh, elle peut compter sur des échanges de graines avec ses collègues, qui ont chacun leur propre approche de la multiplication des légumes. René Léa, de Plouescat, dans le Finistère, est ainsi connu pour ses très belles variétés de choux de Lorient ou d’oignons de Roscoff. Christophe Collini, maraîcher à Saint-Péver, près de Guingamp (22), sélectionne de son côté les légumes sur leur valeur gustative. « J’ai testé 8000 variétés du monde entier », explique celui qui rêve de créer un conservatoire du goût.


Marc Sire est animateur de l’association Kaol Kozh, qui permet aux maraîchers de s’échanger les semences qu’ils produisent. L’association propose aussi des formations pour que le savoir-faire de la semence continue à se transmettre. © F. Sternberg

UN LABEL EN RÉSEAU

« Au début, j’avais du mal à vendre, mais aujourd’hui j’ai tellement de demandes, notamment de restaurants, que je refuse beaucoup de clients », s’exclame notre maraîchère militante qui a vu sortir peu à peu de l’ombre les variétés anciennes. À tel point qu’un nouveau label (lire l’encadré page suivante) a vu le jour en septembre, issu d’une collaboration entre l’association Koal Kozh, la coopérative Bio Breizh et les magasins Biocoop et Carrefour. Les légumes que vend Simone Charrier en Biocoop portent désormais le label « Légumes issus de semences paysannes » : « Les magasins Biocoop sont sensibilisés, ils n’achètent plus des tomates de variétés hybrides. Cela permet aussi que l’on soit mieux rémunérés, observe-t-elle. Il y a des milliers de variétés de choux qui risquent de disparaître. La fondation Carrefour va donner près d’un million d’euros pour la recherche autour des semences paysannes. » L’arrivée de ce label s’appuie sur un véritable patrimoine breton semencier : « Nous sommes aujourd’hui la région la plus avancée en commercialisation des produits issus de semences paysannes, se félicite Marc Sirel. Jusqu’il y a cinquante ans, toutes les fermes multipliaient leurs propres semences. Chaque paysan avait ses propres variétés, selon les microclimats. »

Depuis plusieurs années, l’animateur de Kaol Kozh a écumé fermes et laboratoires pour créer une banque de semences regroupant pas moins de 400 variétés bretonnes. Des légumes qui ne demandent plus qu’à être remis au goût du jour.

Plus d'infos :
kaolkozh5.blogspot.fr
www.biobreizh.org


UN LABEL « SEMENCES PAYSANNES » made in Bretagne

Lancé en septembre 2017, le label Semences paysannes a fait grand bruit, notamment avec la campagne de publicité de Carrefour évoquant un « marché interdit ! ». Zoom sur cette certification.
Par FS


© F. Sternberg

Vous avez peut-être récemment découvert les labels « Légumes issus de semences paysannes » en magasins bio, et « Graines de paysans » dans les magasins Carrefour. S’ils n’ont pas le même nom, ils certifient tous deux que ces légumes sont issus de semences paysannes. C’est-à-dire que les graines sont produites par les agriculteurs eux-mêmes et non par l’industrie semencière (lire reportage précédent). Koal Kozh, association bretonne créée pour protéger les variétés anciennes, en gère l’attribution, tandis que la coopérative de producteurs Bio Breizh s’occupe de la partie commercialisation.

Pour obtenir ce label, le maraîcher doit multiplier les graines d’au moins un légume sur son exploitation. Cette pratique lui ouvre ensuite un droit à labelliser d’autres légumes, à condition d’en avoir acheté les graines à un semencier artisanal ou bien de les avoir échangées avec d’autres agriculteurs. Avec ce nouveau label, Marc Sire de l’association Koal Kozh se félicite de voir la notion de semences paysannes s’étendre à la grande distribution. « Nous avons posé nos propres conditions, avec nos propres règles et notre philosophie », affirme-t-il. Mais le partenariat avec Carrefour n’a pas remporté l’adhésion de tout le monde, comme le prouve le communiqué publié le 26 septembre par le Réseau Semences Paysannes, et qui décrit la campagne de publicité de Carrefour comme « une propagande entretenant la confusion », alors même que « ce sont bien les critères de cette même grande distribution qui ont concouru à l’homogénéisation des semences ».

En effet, pour être échangées et commercialisées, les semences devaient, avant ratification de la loi sur la biodiversité (lire interview suivante ) être inscrites dans un catalogue officiel et répondre à des critères d’homogénéité et de stabilité. Un système qui a poussé les semenciers à produire des variétés standardisées adaptées aux demandes de la grande distribution. Des légumes qui se révèlent aussi plus adaptés à une agriculture conventionnelle, grosse consommatrice d’intrants, qu’à l’agriculture biologique. « Ce label met à jour un sujet tabou depuis des années : quid des semences hybrides en bio? », conclut Marc Sire, en espérant encourager les consommateurs à se saisir de cette question.


INTERVIEW

JONATHAN ATTIAS ET ALEXANDRE LUMBROSO : « Cultiver librement les semences ! »

Propos recueillis par FS

Jonathan Attias et Alexandre Lumbroso ont réalisé le film Des Clics de Conscience, sorti en salle le 4 octobre dernier. Ce documentaire raconte un parcours du combattant : celui de transformer en loi leur pétition en ligne ayant recueilli quelque 80 000 voix, et qui demande le droit, pour les maraîchers, de multiplier et d’échanger librement leurs semences.


© Comunidée Production

Avant le film Des Clics de Conscience, vous avez réalisé la série « Jardiniers, levez- vous ». Qu’est-ce que cela vous a appris sur les semences paysannes ?

Les semences paysannes s’adaptent à leur terroir et aux conditions climatiques. Elles représentent un véritable patrimoine culturel ! Grâce à ces semences, les paysans étaient autonomes et pouvaient eux-mêmes multiplier leurs graines pour la saison suivante. Mais, dans les années 60, la loi a changé et a obligé les agriculteurs à acheter des variétés de semences inscrites dans un catalogue officiel. Les critères pour inscrire une semence dans celui-ci sont impossibles à obtenir pour une variété traditionnelle, ce qui les exclues du commerce. De fait, on demande à la nature de produire des robots en série !

Après cette série, vous avez lancé une pétition demandant le libre échange des semences. Comment avez-vous réussi à la transformer en loi ?

On a réalisé qu’on ne sait jamais ce que deviennent les pétitions que l’on signe ! Alors nous nous sommes demandés comment faire pour que notre pétition devienne une loi. Le sénateur morbihannais Joël Labbé nous a proposé d’inscrire nos revendications dans la loi sur la biodiversité sous forme de deux amendements : le premier demandant que les agriculteurs puissent échanger librement leurs semences et le second appelant à l’interdiction des semences hybrides. Nous avons ensuite dû prendre part à cette machine institutionnelle, participer à une forme de lobbying citoyen, pour tenter d’écrire et de faire voter cette loi.

Seul le premier amendement a été voté favorablement, que change-t-il pour les agriculteurs ?

C’est une petite victoire, car nous ne changeons pas le commerce des semences. Mais désormais quand la répression des fraudes vient voir un maraîcher et lui demande de justifier où il a acheté ses semences, il peut dire que c’est un collègue qui les lui a données ! Pour la première fois depuis plus de 50 ans, un agriculteur peut cultiver librement toutes les variétés traditionnelles hors catalogue !

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !