Éco-construction : le gabion, une école engagée

Publié le lun 07/05/2018 - 16:21

Le centre de formation en écoconstruction et restauration du patrimoine du Gabion, à Embrun (05), est une institution qui fait corps avec son environnement pour proposer des formations en adéquation avec les spécificités régionales. Reportage.

Par Nadia Ventre

Les étudiants en formation Ouvrier Professionnel en éco-construction sont en pleine préparation du dossier de stage qu’ils auront à présenter pour leur examen du mois de juin. Ce matin de mars, ils suivent un cours théorique sur la couverture en pisé – un procédé de construction en terre crue – dispensé par François Moreau, ouvrier spécialisé et formateur occasionnel. En début d’après-midi, avant de réintégrer la classe, ils notent des mesures de linéaires que relèvent deux élèves hissés sur le toit d’une structure pédagogique aux agencements et aux matériaux apparents.

UNE ÉCOLE PIONNIÈRE

L’école d’éco-construction du Gabion s’étend sur 18 hectares, en bordure de la Durance. Sur une terre noire jonchée de paille et gorgée d’eau, se dressent une ancienne filature, un vieux manoir ainsi qu’un bâtiment expérimental construit selon les techniques enseignées par cette école. Dans ces locaux à l’efficience thermique et phonique remarquable, le directeur, Pierre Sallé, nous éclaire sur les multiples facettes du Gabion. Légué à la commune, le domaine a été en 2002 confié à cette association qui agit pour le développement de la construction écologique. À sa création, en 1993, elle lance un chantier d’insertion qui réalise dans l’Embrunais des travaux d’intérêt public. Elle organise ensuite des stages à destination du grand public pour l’acquisition de bases techniques sur la brique ou la charpente traditionnelle.

RÉPONDRE À DES BESOINS QUI ÉVOLUENT

Depuis 25 ans, l’activité connaît une évolution permanente, fondée sur la prise en compte des dimensions humaines et environnementales dans l’acte de bâtir. Les méthodes proposées sont en rupture avec les constructions conventionnelles : usage de matériaux de proximité, prise en compte de l’environnement immédiat pour le choix des techniques et spécificités architecturales… La première formation qualifiante, celle d’Ouvrier Professionnel en Restauration du Patrimoine a été ouverte en 2000. En 2005, l’association s’attaque à la construction d’un bâtiment visant à démontrer le potentiel encore largement inexploité des matériaux naturels locaux. Véritable support pédagogique, la construction inaugurée en 2013 a été réalisée par les salariés du chantier d’insertion.

En 2015, une seconde formation diplômante se met en place, Ouvrier Professionnel en éco-construction (Opec). Aujourd’hui, le Gabion emploie 11 salariés permanents pour un budget de 970 000 euros pour l’exercice 2017.


Sur le chantier-école du Gabion, à Embrun, les élèves de la formation Ouvrier Professionnel en éco-construction apprennent dans des conditions réelles. © N. Ventre

MOTIVÉS PAR LES MÉTIERS DE L’HABITAT D’AVENIR

Issus des quatre coins de France, les étudiants ont en moyenne une trentaine d’années mais ont tous des parcours de vie différents. Ainsi, sept mois après avoir intégré la formation Opec, Emmanuelle Dubost, venue de Bourgogne, n’est pas déçue du voyage, enchantée par « l’ambiance et un encadrement très compétent ». Après une formation dans l’ébénisterie, sa démarche de professionnalisation raisonne avec ses convictions et son désir d’exercer « un métier lié à l’habitat d’avenir, dans un contexte collaboratif ». De son côté, Carla Brue est architecte et

vit à Guillestre (05) depuis 4 ans. « La construction écologique me passionne depuis toujours, dit-elle. Je voulais me spécialiser dans les aspects pratiques du métier, maîtriser la réalisation globale du projet. Je suis ravie par cet enseignement très dense. » Quant à Romain Nakhgavani, il vient de la Drôme provençale. Il souhaite grâce à cette formation exercer une activité complémentaire à sa profession saisonnière d’accompagnateur en montagne. Son objectif : « apprendre un métier manuel en lien avec le bois, acquérir des compétences polyvalentes pour accéder à des boulots salariés et avoir un jour la possibilité de construire mon habitation. »

Le Gabion participe enfin à dynamiser une tendance qui s’affirme dans l’économie du département, premier producteur français de mélèze. Dans les Hautes-Alpes, où la forêt s’étend sur 234 000 ha, a émergé « un secteur de niche qui atteint 4 % du marché global de la construction »,se félicite Pierre Sallé. De quoi continuer de motiver un peu plus l’équipe du Gabion ! Et poursuivre sur l’un de leurs nouveaux projets : répondre aux sollicitations de thésards qui affluent et développer une activité de recherche et développement. Encore des pierres à monter sur l’édifice !

+ D’INFOS : 
Association Le Gabion, Domaine du Pont Neuf.
Route de St André. 05200 Embrun. 0492438966
gabionorg.free.fr


LA FORMATION DIPLÔMANTE OPEC

12 stagiaires sur une session de 9 mois (1200 heures dont 800 heures en théorie et chantier école et 400 heures en entreprise). La formation d'Ouvrier Professionnel en éco-Construction (Opec) prépare les étudiants à intervenir sur les propriétés thermiques du bâtiment – sobriété énergétique et bilan carbone –, participer au choix des matériaux et mettre en oeuvre leur optimisation écologique. L’enseignement recouvre les fondations, la charpente et l’ossature bois, la construction terre et paille, les enduits correcteurs thermiques, les isolants bio-sourcés, le travail de la chaux, du plâtre, du chanvre…


DES FORMATIONS SUR MESURE EN FONCTION DU TERRITOIRE

Par VG

Le centre de formation du Gabion est réparti sur trois sites. À Embrun (05), Mane (04) et Meyrargues (13), les enseignements s'adaptent aux spécificités territoriales. Dans la droite ligne des valeurs de l'éco-construction. Outre les formations, la maison mère du Gabion, située à Embrun (lire le reportage précédant), accueille aussi le centre d'insertion, la matériauthèque et l'espace recherche/ développement de l’association.


Les élèves depuis 7 mois en formation OPEC sur le chantier école. © N. Ventre

Le site de Mane (04), lui, propose uniquement des modules courts (des stages d'une à deux semaines pour le grand public ou les professionnels) et la formation d'Ouvrier professionnel en éco-construction. À Meyrargues (13), seule celle d'Ouvrier professionnel en restauration du patrimoine est dispensée. « Ce découpage s'est fait en fonction du territoire et de la réalité de l'emploi,témoigne Pierre Sallé, le directeur de la formation du Gabion. Historiquement, dans les territoires de Haute-Provence autour de Forcalquier et Mane, il y a une forte sensibilité à l'éco-construction. Celle-ci résulte des suites de mai 1968 : beaucoup de villages ont alors été abandonnés, puis repris par des collectifs ou des associations qui les ont redynamisés. »

Dans ce secteur, les chantiers en éco-construction sont plus nombreux qu'ailleurs. À Meyrargues, la formation est axée sur la restauration du patrimoine, « parce qu'il y a beaucoup de demandes en ce sens-là en terme d'embauches autour d'Aix-en-Provence », ajoute-t-il. 

Au sein d'une même formation, l'enseignement est aussi orienté en fonction du contexte territorial. Ainsi, en restauration du patrimoine à Meyrargues, l'accent est mis sur les toitures en tuile canal alors qu'à Embrun, en territoire alpin, ce sont les couvertures en ardoise et en bac acier qui seront étudiées.La cohérence de la formation avec le territoire est un réel état d'esprit au Gabion. Il n'y a pas de formateur intégré, le centre fait toujours appel aux artisans locaux. Selon Pierre Sallé, « Cela nous permet d'avoir des formations qui collent aux réalités de chantier, aux demandes et aux exigences du territoire. »


INTERVIEW

CAMILLE MELQUIOND : « Nous revendiquons une approche environnementale et sociale du bâtiment »

 

Camille Melquiond est coordinatrice nationale de la Fédération Éco- construire qui regroupe 14 organismes de formation dédiés.

Propos recueillis par VG

Quels sont les enjeux, les objectifs de la fédération ?

Notre objectif est de représenter nos membres, quatorze organismes de formation. Mais aussi de les soutenir, notamment en ce qui concerne l’harmonisation des bonnes pratiques de formation, les évolutions réglementaires, de mutualiser les démarches qualité. Il s’agit aussi de faire reconnaître les formations à l’éco-construction. Certains membres de la fédération se sont réunis pour créer un titre qui a été reconnu l’année dernière, celui d’Ouvrier professionnel en éco-construction. Cela permet d’accréditer les compétences de nos organismes de formation mais aussi de créer et de faire reconnaître des diplômes nationaux. 

Qui sont les apprenants, des professionnels, des particuliers ?

En 2016, 37 % des stagiaires étaient des salariés, 34 % des demandeurs d’emploi, 21 % des artisans et 8 % des particuliers. Cette répartition s’explique car les organismes de formation de la fédération développent principalement des formations professionnelles donnant accès à un diplôme ou à une certification. 

Quelles sont les formations les plus demandées actuellement ?

Le titre d’Ouvrier professionnel en éco-construction est très demandé. Il s’agit d’une formation assez généraliste au cours de laquelle on aborde différents corps de métier. Elle correspond à l’approche de l’éco-construction qui sous-entend une analyse et une vision globale depuis la fabrication des matériaux jusqu’à leur usage dans une démarche environnementale.

Quelle est la place des femmes dans ces formations ?

La fédération oeuvre avec une vigilance particulière pour le respect de l’égalité homme/femme dans le secteur du bâtiment. Nos organismes de formation revendiquent une approche globale du bâtiment, donc une approche environnementale mais aussi sociale. Lorsqu’ils recrutent des stagiaires, ils portent une attention particulière à l’ouverture de ces formations du bâtiment aux femmes. Un exemple : on impose qu’au sein du jury d’examen du titre d’Ouvrier professionnel, composé de professionnels et de salariés du bâtiment, il y ait une part de femmes.

+ D'INFOS : federation-ecoconstruire.org

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