CAMARGUE : la nécessaire adaptation face au changement climatique

Publié le mar 20/03/2018 - 12:23

Avec le réchauffement de la planète, la mer est promise à une élévation de 40 cm à un mètre d’ici 2100. La Camargue n’a pas d’autre choix que de s’adapter aux conséquences du changement climatique. Pour informer sur le rôle incontournable des zones humides dans ce défi, le Groupe Régional d’Experts sur le Climat en PACA y organisait une journée d’échanges cet hiver, à la Tour du Valat.

Par Pierre Isnard-Dupuy

Sur la Digue à la mer, à proximité du phare de la Gacholle, entre les étangs et la mer au milieu de la côte camarguaise, le regard embrasse de longues étendues sableuses. Côté terre, il parcourt au loin les fumées industrielles noirâtres de Fos, jusqu’au Mont Ventoux et aux collines des Costières. Avec l’élévation de la mer, ce point de vue pourrait-il disparaître ?

C’est l’une des questions que se pose, ce 20 novembre, le Grec Paca (Groupe Régional d’Experts sur le Climat en Provence-Alpes-Côte-d’Azur), lors d’une journée dédiée aux « zones humides littorales face au changement climatique ». Un événement organisé avec la Tour du Valat, un centre d’étude, géré par une fondation. Il est spécialisé dans la recherche et la conservation des zones humides méditerranéennes et situé entre l’étang du Vaccarès et le village du Sambuc. « 70 % du territoire camarguais est à moins d’un mètre d’altitude », expose Jean Jalbert, le directeur du site. À une telle hauteur, le delta camarguais, coincé entre Petit et Grand Rhône, voit déjà se produire les effets des changements climatiques.

« Reconstitution d’un écosystème qui amorti les assauts de la mer »

Jean Jalbert poursuit son introduction devant 90 participants. « La première étape, c’est de prendre acte des changements. Ils sont une source d’opportunité, d’innovation pour inventer une nouvelle façon d’aménager le territoire, de penser la relocalisation », avance-t-il avec optimisme. Un point fort de la Camargue : ses zones humides ont une grande importance dans la nécessaire adaptation. « Elles ont un rôle d’éponge face à la sécheresse et aux inondations », cadre le scientifique. Dans sa démonstration, les zones humides sont aussi pensées comme tampon face à la submersion de la mer. Patrick Grillas, directeur scientifique de la Tour du Valat, plaide pour « la mise en œuvre d’une gestion adaptative », qui passe par la restauration et le soutien des zones humides existantes. Il en va de la « reconstitution d’un écosystème capable d’amortir les assauts de la mer », complète-t-il.

« Selon les quatre scénarios du GIEC, [Groupe d’Experts Intergouvernemental sur le Climat, NDLR], le niveau de la mer pourrait s’élever de 40 cm à 1 mètre d’ici 2100. Si les États respectent les Accords de Paris, pour un réchauffement de 3°C, l’élévation sera de 70 cm », donne en repère le paléoclimatologue (CNRS) et coprésident du GREC, Joël Guiot. Dans le même temps, « la Camargue s’enfonce de 0,8 mm par an, à cause de l’arrêt d’apport en sédiments, retenus par les barrages », explique Patrick Grillas. «De plus, la pression humaine peut aboutir à la destruction des écosystèmes dunaires », ajoute-t-il. Or ceux-ci font rempart à la mer. Bilan, « ce sont 111 000 hectares qui seraient potentiellement submergés », si rien n’est fait, comptabilise le chercheur. Mais « ce n’est pas parce que la mer va être plus haute que la Camargue va disparaître. Le fonctionnement va changer », affirme Yves Chérain, garde de la Réserve Nationale de Camargue, au cours de la balade organisée sur la Digue à la mer, l’après-midi. Un ouvrage construit en 1860 pour « protéger l’agriculture des entrées de la mer », présente-t-il.

À l’est du delta, les anciens salins sont donc peu à peu restaurés en zones humides, capables de fixer les végétaux qui retiendront le sol et absorberont les inondations. Un aménagement qui s’inscrit dans l’abandon d’une doctrine de résistance, fondée sur une « digue frontale », s’opposant directement à la mer et à ses tempêtes. Car en cas de rupture d’une telle digue, les submersions pourraient être catastrophiques. A contrario, la « reconquête écologique », que prône Patrick Grillas, nécessite, « d’accepter l’imprévisibilité d’une grosse tempête et le retrait du trait de côte ». L’adaptation est plus difficile pour les Saintes-Maries-de-la-Mer, à l’ouest du delta. Le village résiste déjà depuis des décennies à l’érosion. Andrée Reversat, une habitante, témoigne: « Les habitants ont peur. On voit des camions qui viennent décharger des blocs depuis 15 ans pour consolider la digue de protection ».


Yves Chérain, garde de la Réserve nationale de Camargue (au centre). © P. Isnard-Dupuy

Soutenir les zones humides face aux remontées de salinité

Mais la Camargue subit d’autres conséquences du dérèglement climatique. En novembre, à cause de la sécheresse, les Saintois n’ont plus eu accès à l’eau potable durant une dizaine de jours. Le réseau distribuait de l’eau salée. Le niveau très bas du Petit Rhône, dans lequel s’approvisionne la commune, a engagé la remontée d’eau marine. La situation de cet automne était exceptionnelle, le mois d’octobre ayant connu un déficit de pluviométrie de plus de 80 % sur l’ensemble de la région, selon Météo France. Néanmoins, la baisse des apports en eau douce se fait chronique. « Les précipitations seront moins importantes de 10 % à 25 % à l’horizon 2065 », prévient Marc Moulin, hydrogéologue au Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM). La situation est d’autant plus critique pour les zones littorales. « Les prélèvements d’eaux souterraines vont augmenter pour les besoins de la population et de l’agriculture », prévoit le scientifique. En ce mois de novembre, « le niveau d’eau des étangs du système Vaccarès est plus bas que celui de la mer. Ce qui empêche l’eau douce de s’écouler vers la mer et provoque des remontées de salinité. C’est systématique depuis 15 ans », observe Yves Chérain. La remontée du sel impacte non seulement les eaux mais aussi les terres, imposant une modification des écosystèmes et des adaptations pour l’agriculture. « Il faut remettre des apports d’eau gravitaires en place pour baisser la salinité et recréer des zones humides qui feront éponge », esquisse Marc Moulin en guise de solution. Soutenir les écosystèmes endémiques pour relativiser la conquête de la mer, une nécessité incontournable pour la Camargue.

Plus d’infos :
tourduvalat.org/actualites-projets/zones-humides-littorales-face-changement-climatique
tourduvalat.org
www.grec-paca.fr

 


INTERVIEW

Jean Jouzel : « La sortie des États-Unis de l’accord de Paris serait une catastrophe »

Éminent climatologue indépendant, Jean Jouzel dresse un état des lieux peu reluisant du climat. Le réchauffement est là : nous devons maintenant tout faire pour le limiter et nous adapter. Au risque de courir à la catastrophe. Le chercheur appelle de ses vœux une prise en compte politique pour sortir de la crise à la fois climatique et économique. Un message qu’il tiendra aussi lors de sa conférence à Mazan (84), à notre invitation, le 21 mars prochain.

Propos recueillis pas Magali Chouvion


DR

Jean Jouzel, vous êtes l’un des climatologues les plus brillants du monde scientifique. Pouvez-vous nous dresser un rapide état des lieux du climat ?

Malgré tous nos avertissements, les efforts pour limiter les gaz à effet de serre, et donc la hausse des températures, n’ont pas été assez pris en compte par les États. Aussi, les derniers chiffres du climat sont mauvais. Les quatre dernières années sont les plus chaudes depuis 150 ans. Et 2017 est l’année la plus chaude en dehors des années avec le phénomène El Niño. Le réchauffement de l’atmosphère se poursuit, de même que le niveau de la mer continue de monter (l’océan se dilate sous l’effet de la chaleur) et la calotte glacière de fondre. L’océan s’acidifie.

Autre conséquence visible : les phénomènes météorologiques extrêmes. Canicules, inondations, sécheresses, ouragans, tempêtes… ont toujours existé ! Mais l’augmentation de leur fréquence et de leur intensité peut être imputable au changement climatique.

Tous les signes du réchauffement climatique sont présents, comme nous l’envisagions il y a 30 ans au Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, ndlr). Aujourd’hui, nous considérons donc que le dérèglement climatique est en marche et inéluctable. Nous devons maintenant le limiter à + 2 °C et nous adapter.

Pourquoi toujours parler de la nécessité de limiter à + 2 °C l’augmentation des températures à la fin du siècle ?

En fait, si on ne fait rien, la température pourrait monter à + 4 ou + 5 °C à la fin du siècle. Il existerait alors un risque d’emballement climatique : la hausse pourrait devenir incontrôlable ! Et les conséquences seraient dramatiques : perte de la sécurité alimentaire, augmentation des réfugiés climatiques et des problèmes de santé liés à l’environnement. Tout ceci en sus des conséquences environnementales évidemment : perte massive de la biodiversité, hausse de 80 cm du niveau de la mer, acidification majeure des océans…

Mais si nous luttons, nous parviendrons à circonscrire cette élévation. Et nous pourrions alors nous adapter au changement climatique car ses effets seraient supportables. L’idée de l’accord de Paris était justement de se donner les moyens de limiter le réchauffement.

Politiques, scientifiques, médias, tout le monde a justement été d’accord pour considérer l’accord de Paris sur le climat comme un succès. Néanmoins, deux ans après la COP21, les résultats ne sont toujours pas là…

J’ai participé à toutes les conférences sur le climat depuis 2001. Et j’étais aussi dans le comité français lors de celle de Paris. Je peux donc en témoigner : l’accord de Paris a été un succès car il est international, universel. Il réunit tous les pays.

Ceci dit, force est de reconnaître que les engagements des États ne sont pas à la hauteur de l’objectif. Même s’ils étaient tenus, nous atteindrions + 3 ou + 4 °C à la fin du siècle, au lieu des + 2 °C initialement prévus. Il faudrait idéalement relever ces objectifs.

Cependant, un autre problème de taille se pose : l’éventuelle sortie des États-Unis de l’accord, comme le prévoit le président Trump. Ce serait tout simplement une catastrophe : comment demander aux États de relever leurs engagements alors que l’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre (le second derrière la Chine) ne fait aucun effort ?

Les altermondialistes et écologistes considèrent que les accords commerciaux internationaux – comme le Ceta qui a été signé récemment entre l’Europe et le Canada – vont à l’encontre des politiques climatiques. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, nous pouvons considérer que tous ces accords internationaux, et plus globalement l’Organisation mondiale du commerce (OMC), ne sont pas compatibles avec la lutte contre le réchauffement climatique. Leurs règles préconisent et favorisent le libre échange maximum. Il est évident que cette logique va à l’encontre de la baisse des émissions des gaz à effet de serre.

Le décor que vous plantez n’est pas très positif. Gardez-vous quand même de l’espoir ?

Bien entendu ! Sinon je ne continuerais pas à dispenser des conférences en ce sens !

De nombreuses solutions existent pour limiter l’augmentation de la température. J’ai écrit un livre il y a quelques mois avec Pierre Larrouturou dans lequel nous faisons des propositions. L’une d’entre elles est d’inciter l’Europe à investir massivement contre le réchauffement climatique. En plus d’être efficace sur le climat, cet investissement serait créateur d’emplois et permettrait de relancer l’économie. Je suis persuadé que les pays qui lutteront contre le réchauffement climatique seront bientôt les leaders de la planète. Le dynamisme économique passe aujourd’hui par la prise en compte du changement climatique. Nous devons maintenant nous donner les moyens de nos ambitions.

Plus d’infos :
Pour éviter le chaos climatique et financier, J. Jouzel et P. Larrouturou, Éd. O. Jacod, 2017, 22 euros
leclimatchange.fr


Jean Jouzel : un scientifique reconnu

Directeur de recherche émérite au CEA, Jean Jouzel a fait dans cet organisme l'essentiel de sa carrière scientifique largement consacrée à la reconstitution des climats du passé à partir de l'étude des glaces de l'Antarctique et du Groenland. Il a aussi participé au titre d’auteur principal aux deuxième et troisième rapports du GIEC (organisation co-lauréate du Prix Nobel de la Paix en 2007). Il a présidé le Haut Conseil de la Science et de la Technologie (HCST) de 2009 à 2013. Il est auteur de plus de 400 publications, dont environ 300 dans des revues internationales à comité de lecture. Ses travaux ont été récompensés par des prix et distinctions.

Jean Jouzel est aussi membre de l’Académie des Sciences, membre étranger de celle des États-Unis (NAS) et membre de l’Académie d’Agriculture. Il siège au Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) depuis 2011.

 

Garantissez l'indépendance rédactionnelle et financière de Sans transition !