Accueil des migrants : des citoyens s’engagent

Publié le mar 20/12/2016 - 17:18

Jacques Darlot, Président de l'association rennaise d’accueil aux migrants, Bienvenue ! © B.Vandestick

L’incapacité de l’hébergement d’urgence à répondre aux besoins de logements laisse de nombreux migrants à la rue. Pour pallier cette situation, citoyens et associations s’engagent. Certains ouvrent leur porte, d’autres ouvrent des squats. La solidarité passe aussi par l’aide alimentaire, matérielle, médicale, éducative ou administrative. Un engagement essentiel, alors que la Bretagne accueille, depuis fin octobre, 600 migrants de la « jungle » de Calais.

 

 


Quelques mois de repos et de partage chez les accueillants de Bienvenue !

Par Benoît Vandestick

A Rennes, l’association Bienvenue ! met en relation des demandeurs d’asile sans hébergement avec des personnes proposant de partager leur toit. Une expérience enrichissante, tant pour les accueillants que pour les accueillis, mais qui ne permet pas de loger tout le monde.

Il suffit parfois d’ouvrir sa porte pour aller à la rencontre d’autres cultures et partager sa vie avec des personnes de toutes origines. C’est l’expérience que vivent les bénévoles de l’association Bienvenue !, à Rennes, en accueillant des demandeurs d’asile. De la charité ? « C’est avant tout l’application du droit, qu’ont les demandeurs d’asile, d’être logés », défend Jacques Darlot, président de l’association. Ce soir, il se rend avec quelques bénévoles chez Isabelle et Jérôme, qui hébergent depuis un mois Ani (le prénom a été changé, NDLR), une demandeuse d’asile arménienne. La jeune femme de 29 ans, aux cheveux châtains et aux grands yeux foncés, est partagée entre l’enthousiasme de raconter son histoire et la réserve que la situation lui contraint. Ani est arrivée en France il y a un an et demi, après avoir quitté son pays pour des raisons politiques. « J’ai dormi au 115 (hébergement d’urgence, NDLR) pendant un an », raconte-t-elle, dans un français très compréhensible. Une situation des plus précaires qui ne garantit pas d’obtenir une place chaque soir. « J’ai ensuite été aidée par l’association Un Toit c’est un droit, puis par Bienvenue !, où j’ai été accueillie dans plusieurs familles. »

En partageant l’apéritif dans le salon d’Isabelle et Jérôme, les bénévoles détaillent le fonctionnement de l’association. « Nous recevons des demandes d’hébergement, principalement de la part du Cada (Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile) et d’autres organisations d'aide aux migrants », explique le président. Des besoins d’hébergements toujours importants, à l’heure où la Bretagne accueille 600 migrants en provenance de la « jungle » de Calais. « Nous recevons malheureusement plus de demandes que nous avons de places, poursuit-il. Nous prenons alors connaissance des profils et répondons aux demandes en fonction de la situation des gens. » Chaque personne ou famille accueillie est suivie par un accompagnateur bénévole, le temps de son séjour à Bienvenue !. Son rôle : assurer une présence amicale et faire connaître des personnes ressources. Un médiateur est quant à lui chargé d’assurer la mise en relation avec la famille. « Nous avons fait une première rencontre avec Ani un soir, à la maison, relate le couple. On a discuté, fait connaissance, puis établi les conditions d’accueil avec le médiateur. » Ces conditions sont très succinctes : il s’agit des règles de base de la vie en communauté. « C’est comme de vivre dans sa famille, raconte la jeune femme, on fait ce qu’on veut tant qu’on respecte les autres. Cela consiste par exemple à nettoyer la cuisine après s’en être servie ou à prévenir les accueillants avant d’inviter des amis à passer une soirée. »

Un accueil de trois mois maximum

« Ces moments partagés avec Ani sont d’un grand enrichissement, témoigne Jérôme. On découvre beaucoup de choses sur son pays, sur elle, sur sa démarche et nous comprenons mieux la situation de l’Arménie. » Isabelle apprécie beaucoup les films et les ouvrages sur l’Arménie qu’ils regardent avec la jeune femme. Pour autant, accueillants et accueillis ne passent pas tout leur temps ensemble. « Chacun conserve son indépendance, expliquent-ils. Comme nous travaillons, nous ne sommes pas à la maison la journée. Nous laissons les clés à Ani et elle fait sa vie aussi de son côté. » Pour vivre, la demandeuse d’asile perçoit l’allocation temporaire d’attente (ATA), qui s’élève à 343,80 € par mois. Les associations de solidarité aux plus démunis peuvent aussi aider pour les vêtements et la nourriture. Durant son temps libre, elle est bénévole dans une association du quartier. « J’avais besoin de m’occuper, et comme j’étais professeure d’histoire dans mon pays, j’ai décidé de faire de l’accompagnement scolaire », raconte-t-elle, en apportant sur la table les plats arméniens qu’elle a préparés. « Les migrants ne peuvent pas travailler tant qu’ils n’ont pas de papiers en règle, rappelle Jacques Darlot. Le bénévolat est alors un moyen d’occuper ses journées. »

Dans quelques jours, Ani quittera la maison. « Des sœurs vont m’accueillir pour un an. J’ai déjà vécu chez elles un mois durant lequel on a pu prendre le temps de se connaître. C’est bien de savoir que l’on va pouvoir rester au même endroit un moment, ne plus avoir à bouger tout le temps. » Car Bienvenue ! offre un accueil de trois mois maximum. « Nous n’accueillons pas plus longtemps, de manière à faire tourner les places et permettre à un plus grand nombre de personnes de se reposer, explique le président. Malheureusement, ça n’est pas suffisant. Trois mois c’est très peu pour le parcours d’un migrant en France, qui peut durer 2 à 5 ans avant d’être régularisé. » Cette année, la jeune femme voudrait aussi aller en cours, à la faculté des lettres. « En auditeur libre, pour le moment. Ensuite, si j’obtiens mes papiers, je voudrais m’inscrire à la fac et obtenir des diplômes. A terme, j’aimerais devenir professeure ici. » Derrière elle, la porte reste ouverte : très heureux de cette expérience, Isabelle et Jérôme sont prêts à accueillir à nouveau d’autres demandeurs d’asile.

Plus d'infos :

www.jrsfrance.org/presentation-antennes-en-france/rennes/

 

 


 

Au squat, les migrants retrouvent leur indépendance

par BV

« La vie est plus facile depuis que nous vivons au squat. Il y a plus d’espace pour les enfants et je peux cuisiner. Ça n’était pas le cas à l’hôtel ou en hébergement d’urgence. » Arrivée en France après avoir quitté la Mongolie, il y a deux ans, Zuula s’est installée cet été au squat de La Poterie, à Rennes. Le logement, une ancienne maison de retraite ouverte par l’association Un Toit c’est un droit, accueille quelque 160 migrants, dont 70 enfants. « Nous avons ouvert en juin, raconte Armelle Bounya, bénévole à l’association. Beaucoup de migrants étaient à la rue et le besoin de logement devenait urgent. »

Chaque famille dispose d’un studio équipé de sanitaires et d’un coin cuisine. « Cet espace personnel nous permet de poser nos affaires et de faire notre vie de façon autonome, témoignent Roin et Leila, un couple de Géorgiens. Et faire la cuisine nous-mêmes nous permet d’économiser. » Chacun a pour charge d’entretenir son studio et les migrants s’arrangent entre eux pour balayer les couloirs communs. Un confort dont tous ne peuvent bénéficier. « Des familles nous sollicitent chaque soir car elles n’ont pas trouvé de place en hébergement d’urgence, rapporte Armelle. La situation est inquiétante car l’hiver arrive et toute la place est occupée. »

En juin, le propriétaire des lieux, le groupe Lamotte, avait porté plainte devant le tribunal d’instance de Rennes. Le jugement a été rendu le 5 août dernier, accordant 6 mois de délais aux migrants, qui pourront alors bénéficier de la trêve hivernale. Ce qui leur garantit de s’abriter au squat jusqu’au printemps. « C’est une décision pleine d’humanité », se réjouit Armelle. Reste encore la question du chauffage : si le branchement électrique, nécessaire à l’éclairage et à la cuisine, n’a pas posé de problème, il est impossible de se connecter au chauffage central du quartier de La Poterie sans garanties financières. Et pas moyen de chauffer autrement. Pour récolter des fonds, l’association a organisé en novembre de nombreuses festivités à prix libre. Le squat aura besoin, tout l’hiver, de la solidarité des citoyens.

Plus d'infos :

http://untoitundroit35.blogspot.fr

 


 

Calais n’a pas quitté les abords de la Manche

 

 

 

Dessin et inscriptions sur une cabane de la "jungle" de Calais © C. Cammarata

Par Céline Cammarata

Calais et sa « Jungle » restent un haut lieu de paradoxes. Car dans la misère et la boue se sont exprimés les plus grands élans d’humanité. La position géographique de cette ville l’a transformée en dernier rempart avant l’Eldorado, l’Angleterre. Aucun démantèlement ne changera rien à cette irrésistible attraction. Les associations en témoignent.

Dans cet immense bidonville circulaient certes des trafiquants et des passeurs mais surtout des êtres humains en lutte pour leur survie et d’autres venus les soutenir. Cette énergie de vie était palpable par toute personne qui prenait le temps de s’arrêter dans ce lieu, ville dans la ville avec ses restaurants et ses petits commerces. A Calais, le bénévolat est devenu un métier et un sacerdoce. L’une des plus anciennes associations, L’Auberge des migrants, s’attèle à l’accompagnement des réfugiés depuis 2008. Elle fait partie des associations auditées par les émissaires du gouvernement mais non entendues, s’insurge François Guennoc, l’un de ses piliers : « Une seule solution et provisoire a été envisagée : les CAO en région. Sans prendre en considération les risques encourus par les mineurs et les cas particuliers comme les personnes entrées en formation, celles qui suivent un protocole de soin à l’hôpital, et celles, bien sûr, qui souhaitent passer en Angleterre et que rien ne pourra dissuader d’aller rejoindre leur famille. »

La prise en charge des mineurs isolés reste une pierre d’achoppement telle que MSF s’est retiré du dispositif d’évacuation : « Des garanties nous avaient été données concernant les mineurs. Des entretiens individuels avec possibilité de traduction et de présentation de pièces administratives devaient avoir lieu. Et en cas de rejet d’un mineur, des mesures de recours s’envisageaient. Or mardi 25 octobre, une seule personne faisait face à la file des mineurs et les désignait au seul faciès et sans appel. Mercredi en milieu d’après-midi, l’enregistrement des mineurs s’est interrompu. Plusieurs dizaines d’entre eux, totalement démunis, sont retournés dormir dans la jungle. Nous ne savons pas ce qui va leur arriver », s’inquiète Samuel Hanryon, chargé des relations presse de MSF, présent sur place.

 

Plus d'infos :

www.laubergedesmigrants.fr

www.msf.fr

Pour en savoir plus et apporter votre aide

N’hésitez pas à consulter la page Facebook Info CAO Bretagne (il existe une page dédiée par région). Un réseau de bénévoles a été créé par les associations humanitaires de Calais afin de permettre un accompagnement des réfugiés durant leur séjour en CAO (Centre d'accueil et d'orientation). Des CAO totalement disparates d’un lieu à l’autre. Certains offrent un hébergement de qualité quand, dans d’autres, l’Auberge des migrants a dû envoyer des vivres.


Le saviez-vous ?

- Les demandeurs d’asile se trouvent légalement en situation régulière tant que leur demande est en cours d’instruction et ont, à ce titre, droit à un logement.

- Malgré la création de plusieurs milliers de places en Cada (Centre d’accueil des demandeurs d’asile) ces dernières années, leur nombre reste insuffisant pour accueillir tous les demandeurs d’asile.


Je veux aider, comment faire ?

Faire un don ou s’impliquer bénévolement dans des associations présentes dans toute la France :

- France terre d’asile : www.france-terre-asile.org

- La Cimade : www.lacimade.org

- Le Gisti : www.gisti.org

- La Croix-Rouge : www.croix-rouge.fr

- Le Secours populaire : www.secourspopulaire.fr

- Le Secours catholique : www.secours-catholique.org

- Médecins du monde : www.medecinsdumonde.org

- Médecins sans frontières : www.msf.fr

Proposer un hébergement :

- Réseau CALM (Comme A La Maison) : https://singa.fr

- Réseau Welcome : www.jrsfrance.org

S’informer et communiquer, en parler autour de soi, déconstruire les préjugés, proposer une initiative dans sa commune, signer des pétitions…

- Les centres Ritimo, pour s’informer et comprendre : www.ritimo.org

- Un site pour rencontrer des personnes désireuses d’aider, près de chez soi : https://aiderlesrefugies.fr


Lexique

Migrant : personne qui se déplace d’un pays à un autre, pour des raisons économiques, politiques ou culturelles.

Demandeur d’asile : personne qui a déposé une demande d’asile.

Réfugié : personne dont la demande d’asile a été acceptée.


 

Corinne Makowski : « L’aide n’est pas une question de spécialistes, tout le monde a des compétences à apporter »

© Secours Populaire

Propos recueillis par BV

Corinne Makowski est secrétaire nationale du Secours populaire français, en charge de la solidarité internationale.

 

Comment les conditions de vie des migrants, en France, ont-t-elles évolué ces dernières années ?

Globalement les migrants ont toujours été un groupe de personnes plus vulnérable que les autres. Ils viennent de pays étrangers, avec des cultures différentes. Il y a déjà des difficultés dues à l’intégration. Des difficultés administratives aussi, pour obtenir des papiers.

Quelles sont les actions du Secours populaire pour faire face à cette situation ?

Le Secours populaire a ouvert un « fonds d’urgence migrants réfugiés ». Il va permettre de faire face à cette situation au niveau européen, avec des associations partenaires, mais aussi par des actions dans les pays voisins, comme la Turquie ou le Liban, où les gens se sont réfugiés. Nous répondons aux besoins matériels et alimentaires mais nous organisons aussi des sorties avec les familles et des activités sportives.

Que peuvent faire les citoyens pour venir en aide ?

Faire un don ou organiser des événements comme des concerts, pour récolter des fonds. L’argent va permettre d’acheter du matériel en fonction des besoins des personnes. Les gens parlant des langues étrangères peuvent aider à traduire ou donner des cours de français. Il y a aussi besoin d’aide dans les maraudes pour distribuer des produits. L’aide n’est pas une question de spécialistes, tout le monde a des compétences à apporter. 

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