[RENNES] UNE MICROFABRIQUE FANTASTIQUE !

Publié le mar 18/12/2018 - 14:01

Par Virginie Jourdan

À Rennes, un collectif d’artistes s’est lancé dans le projet de microfabrique Precious plastic. L’idée est de concevoir quatre machines, dont les plans sont librement disponibles sur internet. Imaginé par un designer néerlandais, le but de Precious plastic est de transformer ses déchets plastiques en objets utiles ou précieux.

Penché sur l’extrémité de son extrudeuse, Charly Gutierrez, 28 ans, effectue les derniers réglages. D’ici quelques minutes, un long fil de plastique recyclé sortira de cette machine et servira à fabriquer un pot de fleurs. Après avoir vérifié que la température est montée à 270 degrés, il lance le moteur, placé à l’autre bout de l’outil. Logée dans un tube métallique, la vis d’extrusion se met tout de suite en mouvement. Longue d’une cinquantaine de centimètres, c’est elle qui va pousser la pâte chaude et visqueuse obtenue, grâce à des paillettes de plastique préalablement broyées puis fondues. Cette matière première a été obtenue grâce à de vieux bacs de lave-vaisselle tirés d’une poubelle. De couleur jaune pour cette fois, le fil sort et s’enroule autour d’un cylindre que Charlie fait tourner grâce une manivelle. Le pot de fleurs prend forme.

À côté de l’extrudeuse, Quentin charge la broyeuse. Avec ses dents acérées et son moteur, c’est elle qui a transformé les bacs plastiques durs en copeaux. Ces deux machines, Quentin et Charly ne les ont pas achetées toutes faites. Partisans de la culture maker*, les deux artistes, membres du collectif rennais Indiens dans la ville, ont d’abord repéré les plans sur internet. Une fois ceux-ci étudiés, le montage des machines a été confié à un lycée professionnel du coin. Elles ont été livrées en juin dernier. « Nous leur avons apporté toute la matière première, souvent de seconde main. Et ils ont façonné des pièces que nous ne pouvions pas réaliser », précise Quentin. Une démarche de coopération et de « compétences croisées », qui correspond à l’idée que le collectif créé il y a deux ans se fait du vivre ensemble.

Une communauté de makers

Car ces machines ont une histoire. Conçues par un designer néerlandais, elles sont les pierres angulaires du projet appelé Precious plastic : une microfabrique d’objets en plastique recyclé, composée de quatre machines. Ou comment fabriquer soi-même des objets à partir de ses déchets plastiques. Déjà expérimentée sur les cinq continents et mise en œuvre dans une dizaine de lieux en France, cette initiative, portée par des citoyens, veut promouvoir un système d’échanges basé sur la proximité de la production.

Quentin, devant l’une des machines de la microfabrique, qui transforme du plastique recyclé en objets. © Virginie Jourdan

Pour Quentin et Charly, cette démarche de « faire soi-même » n’est pas arrivée par hasard. À la naissance officielle du collectif, ils ont découvert le réseau des laboratoires de fabrication numérique, très dense dans l’agglomération rennaise. Un univers qui a changé leur rapport à la technique. « La technologie est devenue accessible, notamment grâce à la communauté qui échange tous ses savoirs. Et nous avons ensuite voulu y adosser une action environnementale », expliquent-ils.

En parallèle, le succès rencontré par la Belle déchette, la toute jeune ressourcerie dans laquelle ils ont posé leur atelier il y a un an, a fait le reste : « Cela avait du sens. La Belle déchette récupère des objets de seconde main qui peuvent être revendus, mais aussi réutilisés ou détournés. » Une mine d’or pour la broyeuse de la fabrique.

Ustensiles du quotidien ou objets précieux

Ce matin, Charly et Quentin veulent encore faire des essais de couleurs et de matière. Pas encore accessibles au public, les deux machines sont un étendard que les compères déplacent dans des festivals, pour expliquer le projet et embarquer les citoyens. À partir du printemps 2019, elles devraient être totalement opérationnelles pour le public et disponibles au sein de leur atelier de fabrication. Gobelets, assiettes, pots de fleurs, cale-portes, filament pour imprimantes 3D : les possibles sont nombreux.

Au quotidien, les deux jeunes hommes s’essaient aussi à la fabrication : « Nous travaillons sur un bracelet pour expérimenter la fabrication de moules, qui nous serviront une fois les deux dernières machines finalisées. » Car, à ce jour, deux éléments de leur microfabrique doivent encore être construits : une presse, qui peut confectionner de longues et larges plaques de plastique ; et une presse à injection, capable de projeter du plastique fondu dans des moules aux formes complexes. Leur achèvement est prévu en juin prochain. Pour l’heure, les essais s’enchaînent sur des moules en bois ou en aluminium. Autre piste pour les artistes, la fabrication de mobilier de maison. En septembre dernier, ils ont réussi à confectionner des barres de plastique recyclé, destinées à monter des structures de chaises, de tables ou d’étagères. Là encore, c’est la future presse qui fournira l’équivalent des planches nécessaires à constituer les assises, dossiers et autres plaques d’étagères.

Propulsé par le collectif d’artistes Indiens dans la ville, ce projet était porté par une petite communauté rennaise depuis 2016 : la ressourcerie de La Belle déchette et quatre artistes et militants associatifs engagés à titre individuel. Il y a deux ans, ils ont proposé leur projet au budget participatif de Rennes. Un système qui permet à tous les Rennais de proposer des projets et de les choisir avec une votation. Parmi ces projets, des aménagements dans la ville, comme des potagers urbains, des bacs à petits fruits, des bibliothèques de rue ou des aires de jeux pour enfants. Une fois sélectionnés par les habitants, certains projets sont financés dans la limite d’une enveloppe annuelle de 3,5 millions d’euros, émanant de la Ville. Cette année-là, la microfabrique a fait partie des 44 projets retenus parmi les 635 proposés. Elle a bénéficié d’une des plus petites enveloppes financières octroyées, soit 3500 euros. « Nous avons dû revoir ce budget à la hausse », tempère Quentin. Au total, la fabrication des quatre machines et la duplication de deux d’entre elles avoisinent les 10 000 euros. « Nous avons aussi quelques frais, pour assurer une bonne mise aux normes du hangar pour l’accueil du public », explique Quentin.

Une microfabrique en zone industrielle

L’ouverture complète de la microfabrique au public devrait advenir avant l’été 2019. Elle permettra de proposer directement aux citoyens des outils et des savoir-faire « au service du réemploi », précise Charly. Une première en Bretagne. L’atelier restera situé dans l’arrière-salle de la seconde boutique de la ressourcerie La Belle déchette. « Un lieu stratégique », commentent les artistes, car cette ressourcerie regorge d’objets à transformer : chaises, tables, commodes, mobilier plastique, etc. Singulière dans le paysage des ressourceries, elle est également spécialisée dans la récupération de matières premières issues de l’industrie, pour les artistes. Dans ses bacs : panneaux plexi, chutes de tissu, anciens décors de l’opéra de Rennes, dibon et contre-plaqué constituent une véritable mine d’or.

Situé en pleine zone industrielle au de sud-est de la capitale bretonne, le hangar profite aussi de la présence de nombreuses usines utilisant du métal, du papier et des matières plastiques. « En attendant que les productions soient plus vertueuses, à nous de leur montrer comment leurs déchets constituent de la matière première précieuse pour les artistes ou les citoyens », affirme Charlie. Une manière délicate de rappeler que le meilleur déchet reste celui qui n’est pas produit.

*Née aux États-Unis, la culture maker est tournée vers la technologie, le « do it yourself » (« faites-le vous même ») et s’intéresse à des projets d’ingénierie.


Plus d’infos :
preciousplastic.com
idlv.co
labelledechette.com

À lire :
Makers, la révolution industrielle, Chris Anderson. éd Pearson, 309 pages, 25 euros.

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