Provence - Rendre sa liberté à la Durance

Publié le mar 25/09/2018 - 14:23

Par Pierre Isnard-Dupuy

La Durance est l’un des fleuves les plus artificialisés de France. Elle est le moteur essentiel d’une chaîne hydroélectrique de dix-neuf centrales et, en quelques siècles, son lit a été grignoté de plusieurs centaines de mètres. L’association l’Étang Nouveau souhaite lui rendre sa liberté.

« Bientôt, la Durance ne sera plus qu’un oued. » À cause du changement climatique et des aménagements que la rivière a subis, voilà la crainte de René Benedetto, de l’association L’Étang Nouveau : que la Durance devienne l’un de ces fleuves arides d’Afrique du Nord, qui ne s’animent que lors de précipitations orageuses.

Redonner vie à cette rivière n’est pas le seul combat de l’association L’Étang Nouveau. Elle se bat depuis la fin des années 1980 pour réhabiliter l’étang de Berre (13) qui, depuis 1966, est lié à la Durance par un canal EDF. Ce qui a fait chuter sa salinité et mis en péril sa faune et sa flore endémique (voir encadré).

La Durance parcourt un peu plus de 300 km, de Montgenèvre (05) à Avignon, où elle se jette dans le Rhône. Son bassin versant, parsemé de canaux artificiels, s’étend sur la moitié de la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur (Paca) et fournit 75 % des besoins en eau de la région.

La haute Durance à la fonte des neiges traversant Briançon (Hautes-Alpes). © P. Isnard-Dupuy

Depuis les années 1960, la Durance captive

Avant la création du lac artificiel de Serre-Ponçon en 1960, qui régule son débit, la Durance avait une réputation de rivière « capricieuse », capable de crues dévastatrices comme d’un étiage très sec. « Serre-Ponçon apportera [...] un immense développement économique et un mieux-être social certain », proclamait Prospérité Nouvelle en Durance, un documentaire pédagogique aux accents de propagande, tourné en 1955. Dans les esprits, la Durance était « domptée ».

Dès 1960, EDF poursuivait les aménagements pour créer la chaîne hydroélectrique Durance-Verdon, composée de dix-neuf centrales, qui fournit 10 % de l’hydroélectricité française. Cette chaîne apportait une promesse de sécurisation définitive des usages et des crues. Mais selon Étang Nouveau, sa mise en œuvre est synonyme d’une détérioration de l’écosystème, accompagnée de risques environnementaux importants, jusque sur le littoral.

Selon René Benedetto, cette chaîne hydroélectrique est responsable de l’érosion des côtes, et ce bien plus que la montée des eaux : « C’est d’abord l’arrêt du charriage des matériaux venant des rivières et des fleuves, à cause des digues et des barrages, qui pose problème. 70 % des matériaux du Rhône, qui aboutissaient en Camargue et dans le golfe du Lion, provenaient de la Durance », explique le président d’Étang Nouveau. Il s’appuie notamment sur les travaux de l’Institut de géographie d’Aix-en-Provence et sur l’ouvrage scientifique collectif Le Rhône en 100 questions.

Dans la zone d’expansion de crue de la Durance, zones industrielles, autoroutes et lignes ferroviaires se sont accumulées. Dans son lit, les matériaux, autrefois charriés par un débit plus important, stagnent, ce qui promet des crues plus graves encore. Comme celle de 1994, qui inonda les territoires habités en moyenne et basse Durance.

En 2001, la société Sogreah, spécialisée dans l’étude des aménagements hydrauliques, publie un rapport, dans lequel elle affirme que l’ampleur des crues est renforcée par l’urbanisation et les « conquêtes agricoles » sur le lit de la rivière.

Quant aux digues, elles ne protègent pas toujours : « [Leur] comportement en crue est imprévisible et peut parfois s’avérer brutal », écrit la Sogreah. De plus, « la suppression des crues ordinaires [du fait des prélèvements d’eau] a favorisé le développement de la végétation dans le lit de la Durance », poursuit le rapport. Ce qui crée des îlots, renforce les risques d’inondations et met en danger les promeneurs. En mars 2018, à Villelaure (84), une mère et son fils ont été piégés sur un îlot par un lâcher des eaux d’EDF. Deux chasseurs avaient eu la même frayeur en janvier 2014.

Le canal usinier EDF, parallèle à la Durance, non loin de Chateau-Arnoux (Alpes-de-Hautes-Provence). © P. Isnard-Dupuy

« Redonner de l’eau au lit naturel »

Enfin, René Marion, lui aussi membre d’Étang Nouveau, dénonce une atteinte à la vie aquatique de la rivière. La hauteur d’eau, de quelques centimètres seulement, est soumise à de forts écarts de température selon les saisons. Peu d’espèces sont capables de s’y adapter. Le militant craint aussi des sécheresses plus fréquentes. « L’eau apporte la vie dans la rivière et alimente la nappe phréatique. Or, la réduction des débits a conduit à un abaissement de la nappe d’au moins 50 cm », peut-on lire dans le rapport de la Sogreah.

Pour restaurer l’écologie de la rivière, l’association propose la conversion des installations d’EDF en stations de transfert d’énergie par pompage (Step). La Step est un moyen de stocker l’énergie. L’eau est pompée vers un bassin en amont au moment des surplus d’électricité. En cas de besoin en énergie, elle passe dans les turbines, vers un bassin en aval, comme dans un barrage classique. Pour Étang Nouveau, ce système permettrait de limiter les rejets dans l’étang de Berre et de redonner de l’eau à la Durance.

Christian Doddoli, directeur du syndicat mixte d’aménagement de la vallée de la Durance (SMAVD), partage le même constat que L’Étang Nouveau : « On ne peut pas rester dans un statu quo, ni satisfaisant pour l’étang de Berre, ni pour la Durance. » Concernant le passage en Step, auquel EDF ne semble pas être favorable, il est sceptique : « Cela a déjà fait l’objet d’une étude en 2003 : c’est une solution qui demande d’importants aménagements. » Il plaide plutôt pour une valorisation de l’eau qui aboutit à l’étang ou est remise dans la Durance. Elle pourrait, par exemple, être utilisée « en irrigation par un canal parallèle à l’étang ». En outre, le syndicat travaille en concertation avec EDF pour que les lâchers d’eau soient plus « proches des variations naturelles », afin de limiter les perturbations de la faune locale. « C’est notre gros point noir à régler », concède Christian Doddoli. Contactée, EDF n’a pas répondu à nos sollicitations.

 


La vie dans l’Étang de Berre en équilibre précaire

En 1965, René Benedetto, de l’association L’Étang Nouveau, ramassait dans l’étang de Berre ses « dernières moules ». Ensuite, la vie y a quasiment disparu. De 1966 à 2006, EDF y rejetait de l’eau douce dans des proportions « jusqu’à sept fois supérieures au volume de l’étang par an », expose Bernard Roux, directeur de recherche en mécanique des fluides au CNRS. Une «  pollution à l’eau douce qui a fait chuter la salinité » et par là même l’équilibre de l’écosystème.

En 1991, lors d’un référendum d’initiative locale, 250 000 riverains ont voté à 95 % pour l’arrêt des rejets d’EDF. En 2004, la justice européenne condamnait la France pour la dégradation de l’étang en imposant la limitation des rejets d’eau douce et de limons. Des actions de réhabilitation de l’étang ont été mises en place. La vie est repartie mais son équilibre reste fragile. Cet été, poissons et coquillages ont été retrouvés morts par centaines. La température de l’eau est montée jusqu’à 29 °C et l’oxygène est venu à manquer.

Les rejets d’EDF continuent de poser problème. « Ils peuvent représenter l’équivalent du volume total de l’étang sur une année », affirme Bernard Roux. La route est encore longue pour « la réhabilitation d’un milieu autrefois sacrifié à l’industrie », selon les mots de René Marion, d’Étang Nouveau.

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