La CONSIGNE: aller-retour !

Publié le mar 13/03/2018 - 10:16

La consigne des bouteilles de verre a quasiment disparu en France depuis les années 1990. En Bretagne, des associations œuvrent pour son retour. À la clé : des économies d’eau et d’énergie et le développement de l’emploi local. Au niveau national, le gouvernement mise sur le retour de la consigne des bouteilles en plastique et des canettes. Une mesure-phare de sa feuille de route de l’économie circulaire qui devrait être présentée fin mars.


Le réveil d'une filière

Autour de Nantes, l’association Bout’ à Bout’ s’active pour faire renaître une filière de la consigne. Producteurs, distributeurs et consommateurs sont mis à contribution pour relancer ce système qui valorise l’économie locale et génère moins de déchets. Reportage.
Par Claire Baudiffier

Ce matin d’hiver, le jour n’est pas encore levé dans la campagne de Jans, entre Rennes et Nantes. Parmi les quelques maisons du hameau, l’une abrite San Rocé, une brasserie artisanale installée depuis 2012. Au fond de la cour, à deux pas de l’atelier de brassage, sont entreposés divers fûts et un palox (grosse caisse, ndlr) rempli de bouteilles vides. Un camion du distributeur de boissons C10 Atlantique boissons se gare et, en deux temps trois mouvements, Jean-Marc, le chauffeur, charge les 600 bouteilles. Pas une minute à perdre, il repart dans la brume pour rejoindre un village voisin, Vay, afin de récupérer d’autres bouteilles, de cidres et jus de pomme cette fois-ci.

Depuis 2016, l’association nantaise Bout’ à Bout’ a lancé une large expérimentation pour relancer et développer une filière de consigne de bouteilles en Pays de la Loire. José Peniguel de la Brasserie Sans Rocé a rejoint l’aventure au printemps dernier : « Quand je me suis installé, j’aurais souhaité proposer un système de consigne. Mais seul, c’était impossible, en termes de quantité de travail, d’investissement financier et de temps passé. Heureusement que je peux travailler avec Bout’à Bout’ ! » Depuis le début de l’opération, José a ainsi pu renvoyer quatre palox à consigner, soit autour de 2000 bouteilles.

Lever tous les freins

Bout’ à Bout’ a été créée en août 2016 par Célie Couché. La jeune femme, alors engagée personnellement dans une démarche de consommation responsable, raconte : « Dans ma quête de réduction des déchets, je butais toujours sur le même souci : les bouteilles en verre. Dans la région, on estime que 85 % d’entre elles sont recyclées. Certes ce taux est bon, mais le recyclage est très gourmand en énergie et ne crée pas d’emploi sur le territoire, parce que les usines ne sont pas localisées ici. » En effet, la plus proche de Nantes est située en Charente. Alors, depuis un an et demi, la fondatrice et désormais coordinatrice de l’association – qui bénéficie de financements publics et privés, et est lauréate d’une étude nationale sur la consigne portée par l’Ademe – s’est activée dans tous les sens. Elle a mis les parties prenantes – producteurs, distributeurs, consommateurs – autour de la table pour lever les freins à la réutilisation des bouteilles en verre.

« Les bouteilles, en tant que telles, sont une limite à la consigne. Puisque leur réutilisation a disparu peu à peu (lire lencadré p. XX). Les industriels les ayant conçues plus légères, donc moins solides, elles sont devenues difficilement consignables ! C’est l’une des raisons pour lesquelles beaucoup de producteurs se sont détournés du système. » L’association a alors fait un travail de recherche auprès de vendeurs spécialisés pour trouver des bouteilles solides mais pas trop lourdes afin qu’elles ne soient pas trop chères à l’achat ni trop coûteuses à transporter. « En Allemagne, où la consigne existe encore, une bouteille a une durée de vie moyenne de vingt ans et est lavée 50 fois ! », illustre Célie. En France, les bouteilles sont réutilisées seulement 4 à 5 fois pendant 3 ans (lire p. 28). Les producteurs adhérant à l’association sont en train de s’entendre sur une gamme de bouteilles standardisées afin de mettre en place un système de collecte mutualisé.

« 2000 à 3000 bouteilles lavées à l’heure »


C’est à Clisson (44), chez Boutin Services, que sont lavées toutes les bouteilles consignées. © C. Baudiffier

Une dizaine de jours après le passage du camion à Jans, on retrouve à Clisson, entre autres bouteilles, celles de San Rocé. L’entreprise Boutin Services, qui propose différentes prestations (mise en bouteilles, étiquetage, gazéification…), est en plein lavage de bouteilles consignées. Il y a une vingtaine d’années, sur le Val de Loire, cinq ou six entreprises lavaient environ 20 millions de bouteilles par an. Aujourd’hui, l’entreprise est la seule sur ce territoire et en nettoie 2 millions chaque année (provenant en majorité des cafés-hôtels-restaurants). « Le but de notre association est de reconstruire la filière consigne, en faisant appel à des acteurs déjà en place », souligne Célie Couché. « De notre côté, nous sommes en capacité de laver beaucoup plus de bouteilles si cela devient nécessaire. Nous pourrions ainsi créer de nouveaux emplois », renchérit Chrystelle Barré, la responsable du site lavage de Boutin Services.

Plusieurs palox pleins de bouteilles patientent sous une rampe de détrempage. Cette opération permet aux étiquettes de commencer à se décoller. Les bouteilles prennent ensuite place sur la chaîne de chargement et subissent plusieurs bains (jusqu’à 65°C, selon la difficulté de lavage). « Entre 2000 et 3000 bouteilles sont lavées à l’heure », détaille Chrystelle Barré. Elles passent ensuite à l’étape du séchage et sont contrôlées à plusieurs reprises. « On vérifie l’absence de soude, qui sert au nettoyage, mais aussi qu’il n’y ait absolument rien à l’intérieur, comme un petit bout de bouchon par exemple. »

« Parfois, à la sortie du lavage, certaines étiquettes ne se sont pas décollées. Les bouteilles concernées sont alors extraites de la chaîne », rajoute Anthony Brégeon, l’un des employés de Boutin Services. Les étiquettes, justement, sont un autre des freins que Bout’ à Bout’ s’emploie à lever. « Depuis quelques années, la majorité sont adhésives et s’enlèvent très mal. Nous avons donc recensé les imprimeurs locaux qui proposent des adhésifs lavables. Peu commandés, ces derniers sont en principe plus chers. Mais nous avons mis en place des partenariats pour obtenir des remises de 5 à 10 % pour nos producteurs.’’ Ils peuvent désormais acheter des étiquettes lavables au même prix que des non-lavables ! », détaille Célie Couché. Finalement, question coût global pour le producteur, l’achat de bouteilles consignables puis leur lavage revient souvent moins cher que celui de bouteilles à usage unique. Exemple : Laurent Fleury, brasseur qui s’apprête à rejoindre la filière, paiera sa bouteille consignable de 75 cl 60 % moins cher qu’avant. La consigne : une bonne affaire pour les producteurs !

« Réhabituer les clients »

Depuis 2016, Bout’ à Bout’ a récupéré et lavé 15 000 bouteilles, fédéré dix producteurs et une vingtaine de distributeurs, tous très engagés. « C’est du bon sens, c’est notre responsabilité en tant que producteurs que de participer à ce projet », estime Benoît Landron, vigneron bio à Ligné. Chez Ô Bocal, boutique sans emballage de Nantes, en 2017, le taux de retour a quasiment atteint les 80 %. « La consigne est à 1 euro, ce qui incite à ramener sa bouteille. La mise en place de ce tarif nous semblait nécessaire, au moins pour lancer le mouvement et réhabituer les consommateurs, très enthousiastes ! » La question de la consigne « monétaire » est au choix de chacun. La plupart des producteurs en vente directe ne la pratiquent pas, notamment pour des questions de comptabilité, trop complexes à gérer. Ces derniers n’ont pour le moment pas évalué leur taux de retour. L’objectif 2020 de Bout’ à Bout’ est de collecter et laver 2 millions de bouteilles en Pays de la Loire. Le travail des prochains mois consistera à rencontrer et convaincre la grande distribution de se lancer, pour changer d’échelle !

Plus d’infos :
www.boutabout.org
www.reseauconsigne.com
www.distro.bzh
www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/bilan-environnemental-bouteille-en-verre-consigne-alsace-2009.pdf


EN BRETAGNE, DISTRO S’ENGAGE


© DISTRO

Une association de producteurs de bière, cidre, vin et jus de fruits a mené une étude pendant dix-huit mois pour construire le scénario du retour de la consigne en Bretagne. L’étude concluante, ils se sont lancés ! Désormais, les consommateurs peuvent ramener les bouteilles identifiées « Distro » (« retour », en breton) dans quatre magasins Biocoop de Rennes et de ses environs sans consigne « monétaire ». Et le projet démarre plutôt bien, puisqu’en à peine trois mois, selon Biocoop, 30 % des bouteilles de vin ont été rapportées.

Les Points de collectes : Les magasins Biocoop de la rue Papu et de la rue Eugène Pottier, à Rennes ; allée de la Cerisaie à Saint-Grégoire et avenue des Peupliers à Cesson-Sévigné.


MOINS D'EAU ET MOINS D'ENERGIE

33 % d’eau. C’est ce que la bouteille consignée permet d’économiser par rapport à une bouteille jetable. Elle engendre aussi une baisse de 76 % de la consommation d’énergie primaire et de 79 % des émissions de gaz à effet de serre, selon le cabinet Deroche Consultants (2009).


COMMENT LA CONSIGNE A DISPARU

Rapporter sa bouteille contre une pièce n’est pas une nouveauté. Nos grands-parents nous le diraient… Mais pourquoi ce système a-t-il été abandonné ?


© C. Baudiffier

Si vous avez plus de 30 ans, vous en avez peut-être un souvenir lointain, de cette bouteille en verre que vous rameniez à l’épicerie, pour la remplir ou repartir avec une pièce. Car avant les années 1980/1990, la consigne était très répandue en France. Puis a quasiment disparu. Les raisons ? Tout d’abord, le concept du tout jetable qui a fait son apparition dans les années 1960, accompagné de la massification des emballages plastique. L’emballage unique devient alors un argument de vente. Le Cniid (Centre national d’information indépendante sur les déchets, devenu Zero Waste) cite un fabricant d’huile en bouteille qui vantait, en 1963, les avantages de la bouteille non consignée : « C’est plus sûr : non consignée, la bouteille ne sert que pour vous (…) ».

Le glas de la consigne a aussi sonné pour des considérations économiques. « Face à laugmentation des volumes de déchets à traiter par les collectivités, en 1992, est apparu le principe de responsabilité élargie du producteur. Les professionnels doivent alors choisir entre la consigne, la mise en place d’un système individuel de reprise (emplacements spéciaux de dépôt) ou l’adhésion à un organisme collectif agréé par les pouvoirs publics (aujourd’hui, Citeo, ex-Eco-emballages, ndlr) », explique Célie Couché de Bout’ à Bout’. Les producteurs/distributeurs se tournent logiquement en majorité vers la dernière solution, moins onéreuse !

La généralisation du tri a également joué en défaveur de la consigne. Le consommateur, certain de faire un geste pour l’environnement en jetant sa bouteille de verre, ne voit pas l’intérêt de maintenir une pression sur les industriels pour un système de consigne finalement plus contraignant

Malgré tout, la consigne a persisté en Alsace et Lorraine, peut-être du fait de la proximité avec l’Allemagne – où les ¾ des bouteilles seraient aujourd’hui encore consignées –, et dans certains cafés-hôtels-restaurants. Selon la Fédération nationale des boissons, « le circuit de reprise et de reconditionnement des emballages consignés représente entre 2 et 3 milliards de rotations d’emballages par an ». En 2012, d’après l’Ademe, le taux de consignation pour les bières (en volume de produits) était de 64 % et de 32 % pour les boissons sans alcool. Dans le circuit, les bouteilles en verre sont, en moyenne, réutilisables 4 à 5 fois par an, avec une durée de vie de trois ans. La consigne permet d’éviter chaque année l’équivalent de 500 000 tonnes de déchets.

Plus dinfos :
www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/etat-lieux-systemes-collecte-emballages-menagers-reemploi-201710-rapport.pdf

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